Notre deuxième mission, dite « mission E », car 5ème du genre sur les six missions de la campagne VSF 2009-2010, s’amorce après un retour de jour sur Dakar suivi d’une intense journée de changement d’équipe intégrant rangement, nettoyage du bord et chargement de l’avitaillement en vue de l’accueil de nos nouveaux co-équipiers. Le dîner au CVD -Club de Voile de Dakar- marque le passage de la mission D à la mission E et, heureux de repartir pour un nouveau périple missionnaire avec une très prometteuse et jeune équipe, nous n’en regrettons pas moins de quitter nos compagnons de la première bordée dont l’action a été si chaleureusement et efficacement menée sous la houlette de Max (et de Monique).
Les deux bateaux repartent le samedi matin, direction Mare-Lodj. Nous sommes supposés rejoindre le village de Diogane le dimanche en vue de mener les démarches protocolaires et de procéder à l’installation au dispensaire. Mais l’étroitesse des bôlons et la marée basse de milieu de journée nous piègent après trois talonnements dont Alioth aurait volontiers fait l’économie. Les questions logistiques reprennent le dessus et grâce aux bons offices de Vao-Vao, le matériel et le reste de l’équipe parviennent à rejoindre Diogane en temps utile.
La mission est équipée de trois dentistes : Philippe -par ailleurs coordinateur-, ainsi que Pauline et Xavier*-coordinateur en formation- qui ne partagent pas dans la vie que leur passion professionnelle. Ils sont accompagnés de Stéphanie, intendante et assistante dentaire. On trouve également Catherine dans le rôle de l’infirmière, Marie, dans celui de la sage-femme, Fatou dans celui de l’opticienne et Luc dans celui du médecin. Dom et Alain d’une part, Christiane et Dominique d’autre part skippent respectivement les deux unités Vao-Vao et Alioth. N’oublions pas Mame-Mor, pilier de l’organisation sur site qui, à chaque mission, a la rude tâche de s’adapter à une nouvelle vague d’interlocuteurs et de managers.
Le lundi matin, malgré les difficultés de la veille, chacun-e est à son poste en temps utile auprès de Diakhou l’excellente infirmière du lieu. La semaine mêlera aux activités médicales, moyennement intenses, de Luc, des aides ponctuelles et désormais traditionnelles de Christiane et Dominique aux « médicaux ». Christiane perfectionne son « sérère » d’un vocabulaire très ciblé :
- A doma dom ( ?) : ça fait mal (?)
- Yambati : ouvre
- Yambati a pakh : ouvre très grand
- Dufdi : crache
- …
L’impressionnant carénage de Vao-Vao, le repérage des profondeurs du prochain bôlon pour éviter de nouveaux « plantages » et le très regretté départ de Dom et Alain qui nous quittent le mardi pour remonter sur Dakar font partie des moments marquants de ces quelques jours. Le fort sympathique Jérôme et son « Soly » nous rejoindront en fin de semaine pour prendre le relais au moment où Dominique ainsi que Stéphanie reprendront par voie aérienne la direction de Paris. Dominique, généreusement doté par l’équipage d’un magnifique bermuda élégamment réalisé par le tailleur de Diogane, se réjouit de la perspective d’une petite immersion familiale et fédérale au cours de laquelle il ne risque pas d’oublier Alioth à voir l’impressionnante liste de courses dont il est chargé….
Après Diogane, Siwo. Ce village semble le plus pauvre de tous ceux rencontrés jusqu’alors. Mais l’accueil des habitants est formidablement chaleureux, comme à Falia. Les instituteurs se mettent en quatre pour faciliter le travail et les opérations de dépistage, prévention et soins s’enchaînent à bon rythme. Au cours de journées très chargées, Luc, confronté à des pathologies lourdes, se heurte au manque de moyens thérapeutiques et à la distribution, parfois fantaisiste, par la matrone locale des traitements prescrits.
Nous vivrons une étonnante soirée musique et danse le dimanche soir : sur l’esplanade de sable qui sépare le dispensaire de l’école française, quatre énormes enceintes reposent sur une table basse de style bretonnant. Tandis que les hommes se prélassent dans des fauteuils de jardin, les femmes se contentent d’une assise sur bancs et c’est grâce au groupe électogène de VSF et dans la nuit noire du village que le DJ pourra lancer la soirée…
Autre manifestation amicale et touchante, la fête folklorique organisée par les maîtres de l’école française la veille de notre départ. Une centaine d’enfants, deux joueuses de tam-tam et une salle de classe de l’école française : durant plus d’une heure, les garçons d’un côté et les filles de l’autre, enchaînent des danses à des rythmes et avec une intensité sonore, physique et visuelle assez impressionnante. VSF est dignement représenté par Catherine, Fatou, Marie, Pauline et Xavier -tous membres fort appréciés de l’équipage Alioth- qui n’hésitent pas à se confronter, avec talent et non sans créativité, aux exigences de la danse africaine.
Siwo est contigu à un stupéfiant site de fumage de poissons exploité par les Guinéens. Celui-ci se présente à nous dès le premier soir, émergeant de la mangrove longée par voie d’eau. Les Guinéens y achètent leurs poissons aux Niomynkas, pêcheurs du Siné-Saloum, et les fument sur de très longs fours en briques de plein air. Le bois -des palétuviers- est entreposé sur la plage, les énormes quantités de poissons sont stockées dans des bacs ou dans des sacs, sur des bâches ou à même le sol, le tout par catégorie (queues, têtes, corps, résidus…). Un vrai village fait de huttes très rudimentaires constitue ce misérable campement saisonnier (de décembre à mai) où semblent vivre quelque deux cents personnes. Le travail y paraît harassant, les enfants ne sont pas scolarisés, femmes et hommes sont lourdement mis à contribution.
Très précieux Mame Mor...
En milieu de semaine, le quatuor familial du bateau havrais et VSF « Apata » nous fait le plaisir de sa visite à Siwo pour continuer ensuite sa route vers la Casamance.
Les Sénégalais sont un peuple de pêcheurs qui sillonnent inlassablement la Petite et la Grande Côte et les bôlons du Siné Saloum de leurs pirogues aussi instables que magnifiquement décorées. Les croisements fréquents nous amènent à nous gratifier respectivement d’amicaux saluts, voire à échanger quelques mots. La vigilance s’impose pour éviter collisions, filets, flotteurs… Mais les approches peuvent se révéler moins courtoises. D’aucuns, sous prétexte d’aide semblent vous envoyer résolument dans leurs filets, d’autres n’hésitent pas, au risque de leur vie, à changer brutalement de cap pour vous couper la route : la pauvreté locale repère parfois dans les bateaux de plaisance une opportunité lucrative, les accidents se soldant par des indemnités aux imprévisibles montants.
Fait inédit jusqu’alors, Alioth, lors de sa dernière remontée vers Dakar, se voit poursuivi par une fort banale pirogue en polyester montée de quatre pêcheurs un tantinet malfrats qui le somment avec insistance de s’arrêter au prétexte d’un contrôle douanier. Seuls à bord, Christiane et Luc craignent un abordage autoritaire mais imposent des refus catégoriques joints à quelques sourires, question de détendre l’atmosphère. Un fusil sort des fonds de la pirogue accompagné de menaces pas très convaincantes. Est-ce le divertissement provoqué par un banc de dauphins ou la perspective de la venue de quelques pirogues avoisinantes ? … Nos agresseurs lâchent subitement prise mais quelque chose nous dit que ni eux, ni nous n’en sont à leur dernier coup…
Alioth rentré à Dakar fait ses adieux au Sénégal à quelques jours des festivités des 50 ans de l'indépendance (6 avril 1960), pays dont Grégoire, notre compagnon de traversée, plaisante la devise "un peuple, un but, une foi", en la traitant d'histoire belge... Nous n’entendrons plus les interpellations enfantines « toubab, toubab » ni les « bonjour, comment ça va ? » ou les « comment-tu-t’appelles ? » qui auront uniformément ponctué nos aller et venues dans les villages. Si ces six semaines d’action VSF n’auront pas été de tout repos, notamment du fait de la chaleur, elles se sont avérées riches et intenses à bien des points de vue.
Alioth se fait une joie de reprendre le large après avoir vaillamment assumé sa mission d’hôtel fluvial flottant un peu contre nature et après le retour de Dominique programmé le 28 mars, -et malheureusement sans la compagnie un moment envisagée de Marie-Ange et de Thibaut- nous serons heureux avec Grégoire de partir à la découverte du bel univers des îles du Cap Vert.
Il faut ajouter, au cours de ces derniers jours, une pensée toute particulière pour la sculptrice Cécile Raynal qui expose à la CCI du Havre son œuvre « Persona, personae »** : un grand moment que nous aurions aimé partager avec elle et que nous conseillons à celles et ceux qui auraient envie de vivre une puissante et émouvante rencontre artistique.
*Hors contexte du Siné Saloum, petite histoire vécue par Xavier sur le sol français à l’occasion d’une prescription à une patiente de comprimés de Doliprane destinés à calmer son mal de dents ; celle-ci s’énerve : « mais non Docteur, le Dolicrane, c’est pour le crâne, moi il me faut du Dafaldan, c’est pour mes dents. »
** « Persona, personae » sera exposé à l’Abbaye aux Dames à Caen pendant le mois de mai.