Lundi 2 janvier
- Matin moteur rapidement remis en fonction à Ushuaia grâce aux services de Roxanna qui assiste les navigateurs amarrés au ponton du club Afascyn et au mécano local qu’elle a su dénicher un jour férié pour trouver-le-boulon-apte-à-colmater-la-fuite-d’air-du-tank-bâbord.
- Après-midi : le team Alioth est opérationnel. Il est enrichi de la participation de Laurent, ami du Cotentin et tout nouveau membre de l’équipe, et de Hubert, qui, déterminé à lutter contre le destin, signe pour un troisième mais court contrat. Les formalités d’un départ a priori définitif d’Alioth d’Argentine, sont suivies vers 17h30 d’une sortie de la baie d’Ushuaia pour Puerto Williams (Chili).
- Arrivée à 21h à Puerto Williams avec interdiction de débarquement et privation de Micalvi, le rendez-vous nocturne des navigateurs, les formalités d’immigration ne pouvant se faire que le lendemain matin.
Mardi 3 janvier
- A 8h Alioth rejoint le Micalvi : douches, météo, formalités (Armada, immigration, douanes).
- 12h départ vers le Sud pour profiter d’une courte fenêtre météo qui devrait nous permettre de virer le cap sous la contrainte d’un rapide aller-retour. Plus question d’attendre des semaines, il s’agit là de notre dernière chance.
- Nous organisons notre descente pour arriver au petit matin et par l’Est pour éviter le passage par les canaux de nuit. Nous laissons au large l’île Sésambre où nous suggérons à nos amis Laure et Jacques de venir fêter leur prochain anniversaire de mariage en toute intimité (que les non initiés veuillent bien pardonner ce private joke).
Mercredi 4 janvier
A l’arrivée au sud-est de l’île Deceit, le vent annoncé à 20-25 nœuds se lève brutalement à 35-40 nœuds. Nous sommes à 7 milles nautiques du Horn que nous ne pouvons pas même apercevoir tant les conditions de visibilité sont exécrables. Le paquebot l’Austral est à 4 milles dans l’ouest, prêt sans doute à débarquer ses passagers sur l’île du Horn. Refusant de lutter contre un vent d’ouest-sud-ouest dont nous ne connaissons pas l’évolution, nous décidons de rebrousser chemin. Deux solutions : se réfugier à la caleta Martial, sur l’île Herschel, ce que nous recommande l’Alcamar de Cabo de Hornos ou remonter directement vers Puerto Toro, à l’est de l’île Navarino, ce qui promet une route dure et agitée. Le vent monte à 50 nœuds avec rafales à 60. Rapidement Alioth revêt sa tenue des grands mauvais temps : trois ris et tourmentin. Nous longeons Deceit sur sa façade est et au nord de l’île tentons le passage vers l’ouest qui, en cas de succès, nous permettrait, de nous mettre à l’abri dans la caleta Martial.
Aidé du moteur, bord sur bord, Alioth parvient à s’immiscer dans la baie. Là, le vent reste virulent mais la mer se calme peu à peu et, en une bonne paire d’heures, nous rejoignons le mouillage de Martial. Le bateau anglais Dalliance s’étant mouillé dans la partie nord, nous prenons le parti de nous installer dans la partie sud : dans ces conditions de temps, mieux vaut garder ses distances…. Le vent souffle en rafales de 50 à 60 nœuds. La mer est magnifique mais il est des spectacles dont on ferait volontiers l’économie.
Au mouillage dans la caleta Martial
Nous soulageons notre mouillage au moteur mais craignons en effet un dérapage qui pourrait virer à la catastrophe sur les cailloux relativement proches. Heureusement le fond sableux est de bonne tenue et, au cours de l’après-midi, le vent diminue, l’équipage se détend. Hubert et Luc en profitent pour mettre à l’eau le casier à crustacés en nous promettant pour le soir quelques centollas … que nous attendons toujours.
Martial était le nom du commandant du bateau La Romanche. Accompagné du Docteur Hyades et missionné par la Société Française Hydrographique, il fut chargé d’effectuer les relevés topographiques et hydrographiques des îles du Cap Horn et du faux Cap Horn en 1882 et 1883. On lui doit sans doute l’essentiel de la cartographie actuelle.
Jeudi 5 janvier
Si le vent s’est passablement calmé, la météo reste défavorable et les conditions que nous observons de notre calanque sont bien différentes de celles qui règnent à quelques milles de là au lieu de la confrontation tumultueuse entre Atlantique et Pacifique. L’après-midi nous décidons d’une expédition à terre en annexe. L’accès se fait par une séduisante petite plage qui étonne dans ces contrées hostiles mais l’intérieur de l’île Herschel est difficile tant est dense la forêt de hêtres (arbres de très faible hauteur dénommés coigües) qui la cerne en basse altitude. Les arbres sont de véritables bonzaïs qui feraient le régal des spécialistes, l’eau est omniprésente (rivières, étangs…) et le sol spongieux et tourbeux est recouvert de mousse. Nous poursuivons, la marche un peu lourde, vers le sommet de 300 à 400m. De là, nos efforts sont récompensés par une vue exceptionnelle sur les îles de Hall et du Horn. Si nous ne parvenons pas jusqu’au cap, au moins l’aurons nous découvert de ce point de vue panoramique rare et inattendu….
Les îles du sud chilien se divisent en deux archipels : L’Hermite (qui comprend l’Isla de Hornos) au sud et Wollaston au nord.
Vendredi 6 janvier
Nouvelle journée de météo dissuasive. Pour notre plus grand plaisir, Polarwind et Resolute nous rejoignent. Ce sont six ou sept bateaux qui sont maintenant en attente dans la caleta : tenemos que esperar. Nouvelle promenade à terre l’après-midi non sans avoir rendu visite en annexe aux bateaux amis au passage. Franck (Resolute), mécanicien professionnel bien informé des défaillances ponctuelles de notre Nanni, trouve bonne mine à notre petit 6cv Suzuki et nous conseille un tour du cap Horn… en dinghy…. Le vent souffle fort en fin d’après midi et, du côté nord de la caleta, les bateaux vivent un moment difficile avec le dérapage sur ancre de Polarwind sur le mouillage de Resolute.
Pour tromper l’attente, Hubert et Luc nous réjouissent d’une soirée crêpes à l’occasion de laquelle se révèlent les talents de chanteur de Laurent au registre impressionnant.
Samedi 7 janvier
Espoir, déjà annoncée la veille : la dépression se comble et une accalmie est prévue vers 12h. Le ciel est bas, il pleut et il fait froid. Outre les contacts avec l’Alcamar qui piste les voiliers à l’occasion de vacations bi-journalières, les bateaux échangent entre eux par VHF sur thématique météo, heure probable ou souhaitée de départ, anecdotes diverses… Isolés dans leurs bateaux respectifs, les équipages sont prêts à lever l’ancre. Ce n’est qu’à 16h que l’accalmie se confirme et nous décidons sur le champ, en compagnie de Polarwind et de Resolute, de prendre la route du cap. Le temps reste très bouché mais le vent de secteur ouest de 15 à 20 nœuds nous permet de passer le Cap Horn à la voile dans l’atmosphère obscure dont on se plaît souvent à imaginer le lieu.
Nous fêtons ce grand moment, à la position 67°19’17 Ouest et 56°00’00 S par un champagne offert au Havre en octobre 2009 par nos amis Catherine et Frederick ! Nous avons bien sûr une pensée pour notre neveu Arnaud si déçu, en décembre, de ne pouvoir atteindre l’objectif mais qui, contre mauvaise fortune bon cœur, s’était fait sien le vieux dicton marin : « En mer, crains le pire, espère le meilleur et contente-toi de ce qui vient ». Une pensée aussi pour Brigitte, Jean-Yves, Guillaume et Léa qui sur Polarwind ont subi, au cours des semaines passées, les mêmes vicissitudes météorologiques que nous. Un clin d’oeil enfin à nos amis d’Hakéa qui ont franchi le passage de Drake et séjournent depuis le 4 janvier en Antarctique.
Passage du Cap Horn
Si nous sommes tous heureux de cette journée qui marque fortement notre périple marin, nous saluons particulièrement la prestation de Laurent qui vient ce jour de réaliser la performance rare du passage des trois caps. Respect !
A la pointe nord-est de l’Isla de Hornos, nous rejoignons la catela Leones pour escalader « le caillou ». Visite du monument qui honore la mémoire des disparus du Cap Horn, de la petite chapelle des marins et du phare où séjourne pour une année un couple et ses deux enfants qui, outre leurs responsabilités de gardiennage du phare, accueillent les marins de passage et tamponnent abondamment passeports et livres de bord.
Le phare de l'île de Horn
Le temps est sombre, le coucher de soleil ourle l’horizon d’une longue traînée rouge ; à 22h30, il fait presque nuit lorsque nous redescendons à bord. Nous reprenons directement notre route vers le nord, passons entre les îles Deceit et Herschel et après une navigation par temps plat rentrons directement au moteur et sous grand soleil à Puerto Williams le lendemain midi. Hubert prendra le temps de cueillir pour le bord un petit bouquet de fleurs de la fin du monde…
Insertion ici d’un paragraphe spécifique pour honorer notre Nanni qui a crânement assuré son service lors de cette semaine mémorable !
L’île du Horn doit son nom à l’expédition de Schouten et Le Maire qui, le 24 janvier 1616, ont découvert le détroit entre l’Ile des Etats et la Péninsule Mitre située à l’extrémité sud-est de la Terre de Feu. En continuant leur route, ils virent le 28 janvier une terre qu’ils appelèrent Cap Horn (Hoorn Cap) en mémoire de la ville hollandaise de Hoorn dont ils étaient originaires.
Dimanche 8 janvier
A peine arrivés à Puerto Williams, Hubert, qui connaît tous les voiliers et équipages de la contrée, trouve un bateau susceptible de le ramener lundi à Ushuaia. Un « grand » dîner à bord permet de fêter conjointement notre passage du cap, les deux mois et demi de navigation si agréablement partagés avec Hubert et les deux ans du départ d’Alioth de Cherbourg (8 janvier 2010). Pain fait de la main de Luc, cassoulet offert par Elisabeth (à distance !), gâteau au chocolat réalisé par Dominique, le tout introduit par le whisky de Christine et Jean-Michel et accompagné d’un San Huberto argentin.
Dernière grande soirée au Micalvi pour nous tous. Derniers Pisco-sour du lieu. Derniers bons moments tous ensemble agrémentés d’une petite chanson destinée à Hubert sur un air aisément identifiable :
Micalvi, c’est fini,
Et dire que tu y bus ton premier pisco-sour,
Micalvi, c’est fini,
Mais nous sommes sûrs que tu y reviendras un jour.
Après Barlovento,
La caleta Horno,
Puerto Deseado,
Puis Cabo de Hornos
Une panne de guindeau
De l’air dans les tuyaux
T’en as eu du boulot
Sur ce fichu barco.
Micalvi…
Nous n’oublierons jamais
Ces intenses semaines
Où tu as bien donné de tes jeunes années.
Nous n’oublierons jamais,
Tu as eu tant de peine
Car être Cap Hornier,
Ce n’était pas gagné.
Micalvi…
Ce matin, lundi 9 janvier, Hubert a quitté Puerto Williams sur le Tari II ; une nuit ou deux sur Pégase amarré à Ushuaia en compagnie de Maoro, puis quelques jours à Buenos Aires chez Pablo ou Brigitte et Jean-Yves avant un vol sur Paris prévu en début de semaine prochaine et un retour prochain vers les terres et les chasses de Bécon les Granites !
Le team Alioth est bien sûr un peu triste (et Franck aussi !) car après un si long séjour, le départ d’Hubert laisse un grand vide, mais il se réjouit d’aborder en compagnie de Laurent une nouvelle phase de la saison, soit six semaines de remontée des canaux vers Puerto Natales qui promettent des mouillages et des paysages hors du commun.
Ici, d’autres jouent le grand Sud sur le registre de l’exploit. Freya Hoffmeister, de nationalité allemande, après avoir fait le tour de l’Islande, puis celui de l’Australie en kayak s’est attaquée au tour de l’Amérique du Sud (24000km-24 mois). Sur son tout petit esquif, elle vient de franchir le Cap Horn avec un peu de casse mais sans souci majeur. Ivan Bourgnon, lui, veut tenter avec un comparse un aller retour Puerto-Williams-Cap Horn-Puerto Williams sur un petit catamaran vert pomme qui essaie de conjuguer présence de la presse et conditions météo pour prendre le départ. Suerte !
Amistad !
PS1 : nous essaierons de mette quelques photos sur l’album de "S3-4 - Le grand sud" : en vrac et un peu mélangées au reste faute de temps.
PS2 : Peu ou pas de connexion internet prévisible hors satellite durant l mais nous serons heureux de vous envoyer quelques nouvelles sur le blog dès notre retour dans un site civilisé…