33h 22’, c’est le temps qu’il nous faudra pour joindre la ligne de départ à la ligne d’arrivée de la course Recife-Fernando de Noronha.
La Marine Nationale chargée de l’inspection de sécurité joue la guerre du zèle jusqu’au dernier moment en soumettant notre autorisation de départ à la présence à bord d’une « buzina gas » -soit un système d’alarme sonore à gaz- trouvée tardivement le vendredi soir… au fin fond d’une boutique de carnaval d’un quartier de commerces de bazar. Seul un dernier contrôle effectué le samedi 25 à 10h nous donne le précieux Sésame. La coque bardée des auto-collants des élégants sponsors de la course -Heineken et Petrobras-, les instructions de course approximativement décryptées, les derniers préparatifs et travaux bouclés, nous sommes en mesure de nous présenter décemment sur la ligne.
Nous progressons peu à peu en langue portugaise : ‘bombordo’ et ‘boreste’ n’ont à ce titre plus de secret pour nous, de même que les inévitables ‘linha de partida’ ou ‘linha de chegada’ qui encadrent notre parcours. Pour la petite histoire, ‘bombordo’, le bâbord Portugais, s’entend de la bonne amure ou du ‘bon bord’ des Portugais portés par les alizés.
Le départ s’effectue entre la longue digue extérieure de Recife et le quai de la ville portuaire. Devant une grande tribune où les bateaux sont présentés au public, il est cadencé en cinq séquences de 20mn correspondant aux cinq groupes de bateaux. Alioth, membre du troisième groupe, prend, sous la houlette du ‘Comandante Dominique’, son départ à 15h40 en compagnie d’une bonne vingtaine de concurrents. En fait de régate, l’ambiance est plutôt au rallye et la trajectoire d’environ 300milles est directe entre la bouée nord de Recife et la ligne d’arrivée fixée au nord de l’archipel de Fernando de Noronha. Sans système de temps compensé, notre série ‘ouverte’ donnera d’évidence l’avantage au bateau le plus puissant.
Les conditions météo sont bonnes. Vent d’est/ sud-est de 20 à 25 nœuds. Alioth, sous grand voile haute et solent, file entre travers et bon plein, à une allure soutenue. Malgré l’absence de girouette électronique, de ballasts et de pilote électronique, Alioth atteint sa plus belle performance, soit une distance de 212 milles en 24h. Quant au record de vitesse de notre course, soit 10, 72 nœuds, nous le devons au fin coup de barre de Pierre-André.
A bord, si la position allongée a encore ses adeptes, les maux de mer s’estompent, signe que l’équipage s’amarine.
Nous arrivons à 01h02 le lundi matin et trouvons aisément une place dans un mouillage encore peu fréquenté. Nous saurons le lendemain qu’Alioth se positionne en 9ème place du classement général et en 2ème de son groupe, derrière ‘Sea Dragon’, un impressionnant bateau de 22m qui, au sein d’un équipage très internationalement chaleureux, héberge Sarah (rouennaise) et son mari François-Xavier (caennais) que nous devrions avoir le plaisir de retrouver dans quelques semaines à Rio. Avantage collatéral, la régate nous a permis de nouer également de très sympathiques échanges et contacts avec l’équipage argentin d’’Amigo’, et avec Philippe, le très serviable Brésilien de ‘Kalymeira’, avec lesquels nous nous sommes promis une rencontre lors de notre descente vers le sud.
Nous passons trois journées très ensoleillées, sur la seule île habitée de l’archipel qui compte un total de 21 îles ou îlots : plages et baignades paradisiaques, promenades pédestres et exploration du charmant petit village de Remedios. L’archipel, sommet d’une montagne siégeant à 4000m de profondeur, est un haut lieu de reproduction des tortues, des dauphins et des cétacées et la vie y est à ce titre très réglementée. A plusieurs reprises, tortues placides et dauphins voltigeurs nous feront, au mouillage, le plaisir de leur visite animée. Les baignades dans les rouleaux de l’Atlantique ou la découverte des fonds sous-marins en masque et tuba nous vaudront également d’intenses et mémorables moments. Poursuivi par deux raies, sans doute irrésistiblement fascinées par les alléchantes étoiles de mer de son splendide maillot de bain, Pierre-André s’offrira une petite séquence émotion en clôture de son séjour sur l’île.
Du côté de la grande histoire, l’archipel, découvert en 1492 par les Espagnols, revint au Portugal dufait des dispositions du traité de Tordesillas (1494) et en 1504 le roi Dom Manoel l’offrit à son ami Fernando de Noronha qui, négligence de nanti, porta si peu d’intérêt à ce joyau maritime qu’il finit par en oublier jusqu’à l’existence. Revenu ultérieurement dans le giron du Brésil, l’archipel fut, en 1989, rattaché à l’état de Pernambouc. Au cours de son histoire, il fut fortement défendu ce dont attestent plusieurs vestiges situés aux points stratégiques de l’île. En 1932, il se fit centre de détention pour les prisonniers, essentiellement politiques, avant de servir de base aux Américains lors de la seconde guerre mondiale. De manière plus anecdotique, il fut utilisé à partir de 1927, par la Compagnie Générale Aéropostale qui en fit une base d’assistance aux avions chargés des lignes France-Brésil. La base est devenue ‘Espace Culturel Air France’ et plusieurs artistes s’y expriment en travaillant différents matériaux de récupération, notamment l’aluminium. On ose espérer que les cadavres des 6000 cannettes de bière de la remise des prix ont fait l’objet à son profit d’une dotation exceptionnelle.
Nos co-équipiers, Anne-Sophie et Pierre-André, dans la joie et la bonne humeur, manifestent une résistance à toute épreuve aux nombreuses petites galères du bord. Pour n’en citer que quelques unes : le mal de mer, un moteur qui fait des siennes, une cuisinière en grève perlée de quatre jours ou des questions logistiques un peu complexes de retour ‘at home’. Si jamais ils vous disaient avoir passé des vacances d’enfer, ne prenez pas d’emblée l’appréciation à son second degré…
En conclusion de notre séjour à Fernando, la longue et festive cérémonie de remise des prix se déroule en plein air sur le site du port ce mercredi 29 septembre à 18h. Outre sa place de 2ème, Alioth se voit gratifié du prix du bateau venu du plus loin… Voici un effort justement récompensé…
Nous quittons l’île jeudi dans la matinée pour deux journées de navigation de rêve, au portant et sous gennaker. Anne-Sophie a retrouvé toute sa vitalité à la barre et à la cuisine, en service de quart ou en mode lecture. Le retour, après mille milles parcourus, s'est effectué ce samedi 2 octobre en fin de nuit au port de Recife d’où Arielle, Anne-Sophie et Pierre-André prendront un vol pour Salvador dans la soirée tandis que le team reprendra la route le jour même par la mer pour rejoindre Bahia dans la journée de lundi.
Pendant ce temps, le Brésil vit des moments intenses de campagne électorale et le dimanche 3 octobre décidera, notamment, du sort des candidats au premier tour des présidentielles…
PS : pour voir les photos (pas obligatoirement dans l'ordre des prises de vue...) voir l'album : AS 1 - Refeno