« Quelle immense différence un beau climat n’apporte-t-il pas dans le bonheur de la vie ! » Charles Darwin
Il nous fallait bien rendre hommage à Charles Darwin dans cette ville du Top End où nous vivons un début d’hiver des plus enviables sous la permanence d’un ciel d’azur et d’une température idyllique. Le« Voyage d’un naturaliste autour du monde », dont cette phrase est issue, nous permet, à bord, de revisiter notre propre voyage maritime et terrestre au travers du regard d’un intrépide scientifique, modeste et captivant, expédié en 1831, à l’âge de 22 ans, sur le Beagle, par un père désespérant de l’avenir de son fils. Le célèbre capitaine Fitz Roy, commandant du navire, opposant farouche aux conclusions évolutionnistes de son protégé, lui retirera plus tard la longue et solide amitié qu’ils s’étaient tous deux forgée au fil de cinq années de navigation autour du monde.
Nous aurons finalement, pour notre plus grand plaisir, passé trois semaines en Australie. Les derniers jours s’étirent un peu pour raisons de formalités administratives indonésiennes et australiennes mais nous pourrons en principe partir mardi 1er juillet, si les choses se déroulent comme prévu, ce qui n’est jamais certain. Un peu de travail nous a retenus à bord, mais raisonnablement compte tenu de l’importante session d’entretien précédemment opérée à Opua. Seule la trinquette continue à jouer les coquettes après des travaux effectués à grands frais en Nouvelle-Zélande. Face à son refus persistant d’un enroulement ad hoc, les Brothers ont conçu et commandé une pièce obligeant la demoiselle à un peu plus de tenue : les essais fructueux effectués au ponton par petit temps sont encourageants mais une validation en mer par fort vent reste nécessaire. Le solent, lui, est toujours fidèle au poste sur le nouvel enrouleur que la société Facnor nous a généreusement remplacé en mars dernier.
Darwin est la capitale du Northern Territory australien, dans lequel vivent les plus grandes communautés aborigènes d’Australie. Pays-île-continent proche de la taille de l’Europe ou des Etats Unis, l’Australie est avant tout un immense désert qui ne compte guère qu’une vingtaine de millions d’habitants dont quelque 350 000 se disent aborigènes. Cette société des premiers occupants, la plus ancienne du monde (50000 ans) est extrêmement morcelée en tribus et dialectes différents. Elle tente de survivre en transmettant aux jeunes générations les savoirs du Dreamtime, le temps de la création, qui a fixé toute chose. Du temps du rêve, découle la loi qui dicte modes de vie, croyances et rituels. Le contraste entre le grand âge de ces sociétés et leur mode de vie premier ne cesse de nous étonner et de nous ramener à ce que nous avons sans doute été avant de nous engager dans notre course effrénée vers le progrès et la modernité.
Deux séjours d’exploration ont enrichi notre venue en Australie. L’un dans l’immense parc de Kakadu situé à l’est de Darwin. Les hauteurs dans lesquelles vivent traditionnellement les aborigènes y offrent le spectacle d’étonnantes peintures sur pierre qui, depuis des dizaines de milliers d’année, transmettent les mythes du Dreamtime. Mais les aborigènes se protègent. Ils sont fort peu nombreux à s’exposer aux touristes et les territoires qu’ils habitent ne peuvent être abordés sans autorisation. Les plaines qui disparaissent sous les trombes d’eau en saison humide (novembre à avril), découvrent, en saison sèche, d’immenses étendues de mangroves où règnent des oiseaux par centaines de milliers, des crocodiles d’eau douce relativement pacifiques et des crocodiles d’eau de mer beaucoup plus redoutables. Incroyable fascination que celle qu’exercent ces êtres aussi archaïques et repoussants qu’habiles et dangereux. On y apprend que le crocodile qui repose sur la plage toute gueule ouverte, n’a pas tant envie de vous croquer, que besoin de se rafraîchir le cerveau. Le propos serait rassurant si les accidents n’étaient pas si nombreux et même à Darwin, où les immenses et belles pages de Fannie Bay et de Cullen Bay s’étirent sous des conditions climatiques de rêve, crocodiles et méduses pullulent et aucune baignade n’est autorisée.
Notre deuxième départ se fera en avion vers Alice Springs, la ville du centre de l’Australie qui mène aux extraordinaires sites géologiques et spirituels de Uluru et de Kata-Tdjuta. On y rencontre des chameaux et des chevaux sauvages, de gracieux wapitis et des oiseaux bariolés. La terre est rouge et, après une saison humide très pluvieuse, la végétation est incroyablement verte, de ce vert très doux dont se couvrent les amandiers et les oliviers de nos paysages méditerranéens. Nous avons choisi pour ce court séjour une formule qui nous permette de vivre le bush au plus près : retour à l’ambiance scout où on se plaît à ramasser le bois, faire la cuisine sur le feu de camp et dormir sous la tente au son des dingos, ces chiens sauvages australiens qui hurlent dans la nuit. Les paysages sont grandioses et inspirants. On s’immerge dans la valeur spirituelle des lieux et, du lever au coucher du soleil, on s’attache à l’extravagance des formations géologiques, au dynamisme de la vie animale et végétale et à l’impénétrable culture des populations qui ont vécu et vivent encore en très grande symbiose avec leur territoire.
Si l’effectif aborigène est faible, la vitalité artistique de sa population est surprenante. De très nombreux artistes peintres reprennent le mythe de la création et la symbolique des peintures traditionnelles dans des créations contemporaines saisissantes. Une exposition récente au musée du quai Branly a permis de porter jusqu’en Europe la symbolique de cet art très enraciné dans la culture d’un peuple. Le marché de l’art aborigène est dorénavant de plusieurs milliards de dollars par an. Earth’s Creation, œuvre de la plus célèbre artiste aborigène, Emily Kngwarreye (1910-1996), a été vendue en 2007 pour plus d’un million de dollars, preuve de la valeur accordée à ce mouvement artistique et au sens profond qui le transcende. Au-delà de la peinture et de la sculpture, les aborigènes sont également très présents sur la scène littéraire, musicale et cinématographique.
Jeune artiste aborigène
Le week-end prochain, notre route nous conduira en Indonésie, à Kupang, Ouest Timor, et, le 13 juillet, nous serons à Bali pour fêter l’arrivée d’Arielle qui nous fait le plaisir de nous rejoindre pour trois semaines.
Nous vous souhaitons à toutes et tous un été lumineux et reposant,
Le Team Alioth
PS : les photos sont sur S6 4 - Australie