135 milles, un thon rouge et 20h de navigation nous propulsent de Maurice à La Réunion sous un soleil de rêve agrémenté d’un alizé léger. A l’arrivée, le 13 septembre, c’est Bonjour la France ! Oublié le charme et le confort de Port Louis. Ici au Port, sur la côte nord-ouest de l’île, on se contente d’un amarrage à quai, faute de place dans la marina. L’environnement relève de la poétique industrialo-portuaire. Pas d’échelle, des sanitaires insalubres qui trouvent une alternative passable à un petit kilomètre de là (vive la voiture de location !), un wifi inexistant sauf à s’installer dans le bureau sympathique mais un peu bruyant des capitaines de port pour une connexion correcte. La nuit, un chœur de chiens errants agrémente nos insomnies de leurs aboiements lourdement orchestrés…
Mais si cet accueil chatouille un peu notre amour-propre de français, nous nous concentrons rapidement sur trois grands objets de satisfaction. En premier lieu, technique oblige, la présence sur le site d’un voilier et d’un mécano, tous deux à même de résoudre nos problèmes du moment. Notre spi passe en atelier et ressort bardé d’un grand raccordement blanc. Quant à notre moteur il s’offre une batterie neuve afin de compenser ses récentes faiblesses de démarrage. Nous nous réjouissons par ailleurs de la découverte prochaine des trésors escarpés de l’île et de l’arrivée, le dimanche matin, de notre grande amie Zabou.
Nous voici dotés d’une voiture avec chauffeur (Dominique enchaînera quelque 1827 virages durant notre séjour) et d’une guide experte (Zabou a parcouru l’île de long en large durant deux années). A nous les cirques et les pitons, les cratères et les caldeiras. Les chemins sont empierrés, les randonnées fatigantes mais la beauté des paysages récompense largement le prix de nos efforts. Nous n’oublierons pas la magnificence du cirque de Mafate et de ses petits villages de Marlat puis de La Nouvelle où nous passons une nuit dans le charmant gîte de Tamarineo animé d'une dynamique ambiance franco-allemande ; le joli village thermal de Hellbourg ; le spectacle minéral et chaotique du piton de la Fournaise ; la magie du Maïdo et du chemin du long bord qui mène au Grand Bénarre, où nous rageons de perdre une course contre les nuages qui nous fauchent, de quelques minutes, la vue sur le piton des Neiges et le cirque de Cilaos. Sur nos pas s’égrènent les autels de couleur rouge dédiés à Saint-Expédit, un saint aux origines non élucidées. Selon certains, son culte serait né d’un colis de reliques portant la mention « expédit ». Les pieuses religieuses destinataires en auraient déduit qu’elles concernaient le saint du même nom…
Le cirque de Mafate
Le culte très local de Saint Expédit
Sur la route du piton de la Fournaise
Chance du calendrier, La Réunion nous offre les 20 et 21 septembre, ses journées du patrimoine. Nous visitons avec curiosité bâtiments, maisons coloniales et jardins tropicaux. Les créoles miment, racontent, chantent et dansent l’histoire des ancêtres esclaves. Le phare de Bel, le seul en activité sur l’île, nous offre un peu de hauteur sur les eaux de l’océan Indien. Les trois danseuses de New Gravity nous invitent à un spectacle saisissant de grâce et d’agilité dans les branches d’un arbre centenaire profondément enraciné sous les dalles du parvis de la cathédrale.
La maison Carrère à Saint Denis
Nous croisons les personnalités du passé. La mémoire du corsaire La Buse qui a hanté les côtes réunionnaises est honorée d’une croix en pierre au cimetière marin. Le poète parnassien Leconte de Lisle, l’aviateur Roland Garros et l’économiste et politique Raymond Barre sont les grandes personnalités nées sur le territoire. Juliette Dodu a une renommée qui ne dépasse sans doute guère les limites de l’île. Elle s’est pourtant distinguée par des actes de résistance audacieux qui ont permis de sauver 40 000 hommes durant la guerre de 1870. Quant aux personnalités du présent, elles n’échappent pas à la perspicacité de Zabou qui engage la discussion avec Monseigneur Aubry -archevêque à La Réunion depuis un demi-siècle-, dans une magnifique maison coloniale où Jean-François Sam-Long, écrivain réunionnais, vient de recevoir l’ordre national du mérite en présence d’Antoine Gallimard et du gotha culturel de l’île.
Zabou fréquente les cocktails
Sur le quai, s’opèrent rencontres et échanges avec les bateaux voisins. L’un, après cinq tours du monde, arrose les plantes accrochées à son balcon arrière ; un autre, aimable prêteur de son tuyau d’eau, semble, après deux circumnavigations, avoir troqué le goût du grand large au profit de la passion des échecs. Les Eliès, parents de Yan, bouclent quant à eux leur premier tour du monde sur Eglantine. Et puis, il y a les badauds, tel ce brave homme qui nous interroge sur l’éolienne en demandant : « ça vous donne l’électricité ça ? » et qui, sur la réponse affirmative de Zabou, insiste « mais ça vous la fait gratis ? ». C’est vrai qu’à La Réunion, il se dit qu’on aime les subventions.
Oui, oui, il y aura un pied à l'eau...
Trouvailles et retrouvailles ont enfin très agréablement marqué ce séjour. Nous avons ainsi rencontré Claudine et Pierre, Marie-Christine et Guy, Chantal et Louis-Paul, Jean-Michel qui nous ont permis de mieux connaître ce petit bijou départemental d’Outre-mer, perdu au fond de l’Océan Indien. Si nous lui vouons un intérêt et une affection toute française, il est difficile d’ignorer les nombreux maux dont il souffre et de ne pas comparer son mode économique, social et politique à celui de ses voisines Mascareignes qui ont donné naissance au petit pays voisin de Mauritius.
Au sommet du Grand Bénarre
Pendant que j’écris ces lignes, Elisabeth, Dominique et Luc sont en cours de nettoyage de pont, de restitution de voiture, de préparation de bateau… Les douaniers nous ont posé un lapin (je me permets d’écrire ce mot honni des marins car je ne suis pas à bord…) ce qui est quand même du jamais vu dans nos démarches de clearance : Au-revoir la France ! Dans deux heures nous partons pour la grande île (Madagascar pour les réunionnais). Zabou a pu décoller hier matin malgré les aléas liés aux grèves d’Air France. Nous aurons passé avec elle et grâce à elle, un séjour formidable et nous les remercions, elle et Laurent, de cette belle idée de retour sur Alioth à l’occasion d’une séquence très terrestre. Laurent et Zabou étaient venus nous rejoindre en Nouvelle-Zélande en janvier dernier. Cette fois, Zabou est venue seule car Laurent n’a pas gardé que de bons souvenirs professionnels ici et la randonnée, comme il l’a prouvé au pays des Kiwis, n’est décidément pas son fort !
A bientôt de Madagascar que nous aborderons par le nord, direction Nosy Be.
PS : les photos sont sur l'album "S6 7 La Réunion"