Il est 4h du matin, heure locale, ce mardi 2 septembre. La nuit est magnifiquement étoilée, Orion et sa rutilante Bételgeuse veillent sur notre poupe, la mer est lisse et les conditions me permettent d'entrerendre l'écriture de ces quelques lignes. Sur tribord, se détachent les deux feux blancs du Vega Dream, un cargo qui nous dépassera en croisant notre route, dans un peu plus d’une heure et à sept milles de distance -merveilles de la précision électronique. Depuis hier nous essayons de jouer avec la bulle anticyclonique qui stagne sur l’île Maurice. Le stock de gas-oil n’est pas à son meilleur niveau et nous ne pouvons brûler prématurément les dernières réserves destinées à l’atterrissage sur Port Louis. Patience, patience, donc. La progression est lente, lente, d’autant que nous aimerions pouvoir accueillir Agnès qui atterrit par avion mercredi pour une semaine de vacances mauriciennes avec Laurent. Mais à ce rythme, il n’est pas dit que ce ne soit pas elle qui vienne réceptionner nos amarres à quai !
Mais revenons sur Rodrigues où nous avons passé trois journées intenses. Rodrigues fait partie de ces îles rares où l’authenticité et la simplicité sont reines. Ici point de tourisme tapageur mais une qualité d’accueil inégalable. Entre la petite ville de Port Mathurin et l’habitat très dispersé organisé au gré de l’attribution des terres, les Rodriguais parlent le créole, la langue véhiculaire, l’anglais, la langue officielle, et le français, la langue du cœur. Les liens de Rodrigues avec la culture française sont en effet très forts. Ici, dans cette île des Mascareignes, maintenant membre à part entière de l’état indépendant de Mauritius, les noms de lieux sont restés français et, outre l’admirable aptitude au trilinguisme des rodriguais, nous nous étonnons de la spontanéité et de l’aisance avec laquelle chacun s’exprime dans notre langue. De ce qui nous est dit, les relations de maîtres à esclaves furent « bonnes » ce qui expliquerait cet héritage assumé du passé colonial. La population vit dans un climat pacifié et la générosité et la solidarité ne semblent pas de vains mots dans ce petit îlot où frappent les cyclones.
A Port Mathurin
La rue de la Solidarité... et sa boîte à idées ?
Nous avons sans doute passé trop peu de temps dans ce lieu magique où le lagon est peut-être le plus beau de tous ceux qu’il nous a été donné de rencontrer. Nous avons aimé marcher des sommets du centre de l’île vers le bord de mer, longer le lagon, fouler le sable blanc, se (ou plus exactement me) baigner dans l’eau cristalline.
Nous avons renoué avec le plaisir des échanges entre bateaux voisins -norvégiens, australiens, allemand et français-, tous contacts dont nous avions été un peu sevrés lors de nos escales très solitaires de ces derniers mois. Nous nous sommes régalés de la cuisine locale : les langoustes, calamars et licornes grillés de Robert et Solange à Saint-François ; les ourites (poulpes), cono-cono (bulots rodriguais) et poissons capitaine de Mega le charismatique tenancier du « Marlin Bleu », une splendide adresse détectée par Laurent dans l’anse aux Anglais.
Nous avons dégusté le meilleur citron du monde, parole de rodriguais, point de vue que nous ne sommes pas loin de partager, surtout lorsqu’il s’épanouit au fond d’un verre de rhum. Nous avons parcouru les chemins de l’île dans les pas de Marie-Paule, Nathalie, Jean-Rex qui nous ont transmis leur enthousiasme pour leur belle terre et fait découvrir la richesse de la faune et de la flore mais aussi le charme des appellations créoles si imagées, telles celles de ces gros escargots dénommés « courpa». Nous avons circulé cahin-caha dans les bus qui desservent les quatre coins de l’île. Nous nous sommes fait -presque- endoctriner par l’Imam local qui nous offre une vie de Mahomet, un ouvrage qui manquait de toute évidence à la bibliothèque du bord.
En compagnie de Sudan, à la mosquée
Nous n’avons pas manqué de nous réapprovisionner au foisonnant marché du samedi matin. Nous avons, le samedi soir, partagé sur le quai, avec les équipages voisins, un barbecue ambiance dockers, très typique de ces contacts chaleureux entre marins qui se croisent tout en sachant déjà qu’ils ne se reverront pas. Nous avons enfin apprécié à leur juste mesure les excellentes viennoiseries que Laurent s’en allait discrètement chercher à la boulangerie de Port-Mathurin au petit matin…
Au marché, Lucie, la maman de notre guide Marie-Paule
Au cours de la présente traversée, Luc fait sans doute une de ses plus belles prises : un marlin bleu (justement !) estimé à près de 50kg.
Si la performance de pêche est exemplaire et le marlin savoureux, la taille de l'animal est un peu hors de proportion avec les appétits du bord… Rétrospectivement, nous pouvons considérer ce trait exceptionnel comme un hommage à Jean, dit Titi, pêcheur de Saint-Vaast-la-Hougue et ami de la famille qui, il y a bien longtemps de cela, nous embarqua maintes fois sur le Dauphin, en compagnie de Michel, son neveu, pour des « marées » qui ont marqué nos vies de marins. Tous deux furent parrains d’Alioth lors du baptême célébré à Saint-Vaast le 31 août 2009 et nous leur avons toujours été reconnaissants de ce geste d’amitié. C’est avec beaucoup de tristesse que nous apprenons que Titi vient de quitter terre et mer et que nous ne le retrouverons pas à notre retour à l’occasion de son petit café matinal au Débarcadère. Touchante coïncidence, nous avons, à Port Mathurin, tout spécialement pensé à lui en passant devant une boutique de pêche dont nous avons pris une photo qui lui était destinée :
Nous la mettons en ligne avec une pensée toute spéciale pour Stéphane et Michel.
Nous sommes maintenant le 3 septembre et grâce à Eole qui ne nous a pas totalement abandonnés, nous avons fait une arrivée magnifique au lever du jour à Maurice. Nous accostons à 10h et à 11h30, une fois les formalités accomplies, Laurent a pu filer à l’aéroport accueillir Agnès : ouf, l’honneur et la courtoisie sont saufs !
Arrivée à Port Louis (Ile Maurice)
PS : Les photos sont sur l'album S6 7 - De Rodrigues à Maurice