On l’a trop félicité l’Indien pour sa mer joliment rythmée sous le cadencement de l’alizé et pour la magie de son ciel d’azur sur les eaux turquoise des Cocos Keeling... Rapidement, le temps s’est brouillé sur l’atoll australien et, le samedi 16 août au matin, c’est sous une pluie diluvienne et dans un clapot haché que se parcourt la demi-heure d’annexe qui nous mène au petit supermarché de Home Island. Mais la chance est de notre côté : le réapprovisionnement hebdomadaire de l’île a lieu le vendredi et l’avitaillement du bord se fait dans des conditions inespérées.
Cocos : les hommes a la lessive
L'ilot Prison
Les rois de l'ilot Prison
La courageuse nocturne de pêche sur le platier de corail annoncée avec convoitise lors de notre dernier article, s’est en revanche avérée bien décevante. Adieu, la perspective alléchante d’un barbecue de langoustes et de cigales sur la plage ! Mis à part les regrettés crustacés, la faune locale est riche de tortues de mer, de crabes, de bernard-l’hermite, de dauphins et de requins, l’animal le plus agressif restant le moustique qui vous assaille sauvagement, à terre, sous les frondaisons.
Petit requin local
Notre long week-end du 15 août s’achevant, nous quittons les Cocos Keeling le dimanche matin sous un ciel inhabituel en régime d’alizés. Rapidement les nuages s’accumulent, le vent et la pluie s’en mêlent. Le jour, la mer et le ciel se font gris, la nuit, notre univers est plongé dans une obscurité totale* et grains tropicaux et crachins marquent de leurs intermittences nos six premières journées de navigation. On file à environ 200 nautiques/jour mais le roulis a repris et avec lui la vie saccadée du bord. Déplacements, sommeil, douche, cuisine, repas, vaisselle, tout se complique lorsque la mer s’agite.
Le 19 août, à l’occasion d’une éclaircie, nous fêtons le passage des 90° de longitude Est avec la satisfaction d’avoir bouclé les trois quarts de notre tour du monde. Depuis quelque temps, l’échéance de la fin du voyage se fait plus présente à nos esprits. Un mélange de nostalgie et de raison nous habite mais, en attendant, nous prenons du Sud et il reste encore quelques milliers de milles pour profiter des plaisirs de la mer et de la terre avant de rallier le lointain port de Cherbourg.
Le 19 août, c’est aussi le jour où la situation de notre co-équipier Laurent commence à sérieusement nous préoccuper. Incommodé par le mauvais temps, il s’est laissé surprendre par ses longs temps d’exposition extérieure dans le cockpit. Atteint de brûlures relativement sévères doublées d’une allergie solaire, il plonge durant plusieurs jours dans un état de torpeur très inconfortable pour lui et un peu inquiétant pour le reste de l’équipage. Le Dr Luc sort trousse médicale et caisses à pharmacie. Après un diagnostic plus compliqué qu’il n’y paraissait de premier abord et la délivrance d’un traitement approprié, notre malade commence à reprendre vie le 23 au matin ! Le soleil fait concomitamment sa réapparition. Tous les indicateurs sont au beau fixe.
A la manoeuvre
Et puis, côté poissonnerie, cette semaine, c’est dorade coryphène !
Mais c’est sans compter sur les défaillances techniques qui, il est vrai, ont brillé par leur absence depuis le début de notre « saison 6 ». En l’occurrence, notre jeu de voiles accuse coup sur coup deux petits moments de faiblesse : l’attache de la drisse de solent se rompt le 23 au soir quant au spi, sans raison apparente, il se déchire horizontalement et sur toute sa largeur dans la matinée du 24. Il ne reste plus qu’à installer le gennaker en formulant l’espoir de trouver un bon voilier à La Réunion.
Le spi avant...
... le spi après
Pendant ce temps, nous avons laissé à 650 milles à tribord l’archipel des Chagos. Racheté par les Britanniques aux Seychelles, il est partiellement loué aux Etats-Unis qui ont établi une importante base militaire à Diego Garcia. Autant dire que les plaisanciers de notre genre n’y sont pas particulièrement les bienvenus.
Oiseaux et cargos se font les agréables compagnons de notre traversée. Frégates, pailles-en-queues et autres volatiles marins dont les incontournables poissons-volants, sont d’une étonnante assiduité quotidienne. Quant aux navires, ils acheminent lentement leurs longues masses d’acier sur la route qui relie l’Afrique du Sud à Singapour. Ceux que nous croisons au plus près ont la courtoisie de s’inquiéter, par voie de VHF, du bien-être du bord, voire de dévier leur route de quelques degrés pour ne pas gêner notre progression.
Le moteur pour tout le monde
Mais le vent tombe inéluctablement à l’approche d’un anticyclone centré sur Rodrigues. Débarrassé de ses cheminements d’écume, le bleu de la mer se fait plus intense, l’horizon rentre dans ses courbes, le temps se dilate sous l’effet de la progression qui se fait lente. Jusqu’à la panne totale de vent qui marque le démarrage du moteur sous le ronronnement duquel nous évoluons durant 36 heures. Le 28 août à 7h le vent se lève du sud nous offrant une arrivée au bon plein par 20 noeuds. A 11h, nous mettons pied à terre sur la charmante ile de Rodrigues (Maurice).
*« et quand il fait noir, il fait... noir ! » (ceci est un clin d’œil à Alexandre, Charlie et Raphaël)
PS : les photos sont sur S6 6 - de Bali à Rodrigues