Le jeudi 7 août, nous quittons Bali avec soulagement, car deux jours plus tôt, le circuit administratif de notre sortie de territoire semblait devoir s’enliser pour des raisons que la raison peinait à saisir. Le temps est beau -comme toujours- l’alizé souffle à 20 nœuds et nous nous dégageons rapidement de la pointe sud-est de l’île pour mettre le cap à l’ouest, direction l’Australie - non pas la grande mère patrie qui se trouve derrière nous, mais les petites îles annexes de Christmas et des Cocos Keeling qui s’annoncent sur notre route.
Venu en 2012 tirer des bords durant deux mois dans la fraîcheur des canaux de Patagonie, Laurent reprend ses marques à bord et s’adapte, au prix de quelques coups de soleil, au grand largue, au ciel bleu et à la chaleur. La mer est calme, la météo constante, la route directe sur bâbord amure, le courant favorable. Une période de navigation idyllique ! On reprend le rythme confortable des quarts à quatre, on lit, on se distrait, on se repose ; on goûte au plaisir d’être en mer. La pêche est bonne d’un excellent poisson non identifié qui ajoute aux plaisirs de la table.
Seuls modestes efforts de ces six jours : deux prises de ris, deux envois de spi, deux empannages et, le dimanche 10 août, un lof de quelques degrés pour éviter l’île Christmas qui ne figure pas au programme de nos escales.
et une petite demi-heure de bricolage
Comme chaque île, celle-ci a sa grande histoire (elle fut découverte le 25 décembre 1643 par le britannique William Mynors) et ses petites histoires dont celle de ses 120 millions de crabes rouges qui chaque année, en novembre, sortent de leurs trous et mobilisent leurs 1,2 milliard de membres (deux pinces et huit pattes par animal) pour traverser maisons, routes et jardins et se précipiter vers la mer en vue d’y déposer leurs œufs. Ceci ne serait rien sans compter la présence des super-colonies de fourmis folles jaunes qui, malencontreusement apportées par des visiteurs, furent identifiées sur l’île en 1989. Ces petits envahisseurs de 4mm de long se déplacent en armées dévastatrices qui s’en prennent tant aux nichées de jeunes frégates et de fous austraux qu’aux crabes terrestres rouges qu’elles aveuglent et exterminent au cours de leur extravagante transhumance vers la mer*.
Nous longeons la côte sud de l’île Christmas en profitant du spectacle des oiseaux dont le vol majestueux se brise en plongées brutales et avides au cœur des bancs de poissons.
On s'est rencontré...
.... on s'est apprécié...
.... puis on s'est séparé.
Chacun pour soi est reparti, dans le tourbillon de la vie...
Nous reprenons notre cap vers les Cocos Keeling et pénétrons dans le périmètre de l’atoll le mercredi 13 août en fin de matinée avec le sentiment de rejoindre un petit coin de paradis perdu en plein océan. Sous lîlot Direction, l’approche du mouillage de port Refuge est délicate compte tenu des faibles profondeurs et d’un balisage déconcertant, mais les couleurs de l’eau, les plages et les cocotiers offrent un environnement exceptionnel.
On ne peut qu’une fois de plus s’étonner du travail de titan effectué par les coraux, qui patiemment, à fleur d’eau et sur des millénaires, cernent les décombres des montagnes pour ériger des empires au beau milieu de l’océan. D’un point de vue historique, ce joyau fut découvert en 1609 par le capitaine Keeling et une famille d’origine anglaise y exploite le coprah depuis 1826. Si le territoire a été rattaché à l’Australie en 1955, les échanges captés à la VHF se font essentiellement en langue malaise car c’est grâce à l’importation d’une main d’œuvre sud-est asiatique que l’exploitation du coprah a pu se développer.
Alioth est seul au mouillage. La douane se fait attendre pour des raisons de panne de moteur.
Venue des autorités à bord
Les petits requins rôdent alentour mais l’eau est trop attirante et l’animal déclaré trop insignifiant pour troubler la baignade… Nous visitons « Home Island » et son village malais-musulman façon australienne, puis « Direction Island », petite île coralienne de nos jours inhabitée qui connut, au cours des deux guerres mondiales, des évènements bien extraordinaires. C’est que Direction Island, devenu en 1901 station du câblage sous-marin reliant l’Australie et l’Asie du Sud-Est au continent africain, constituait un lieu stratégique de première importance.
Méditation face à l'océan
Ce jour nous sommes à West Island que nous avons rejoint par ferry. Le petit village est minimaliste mais nous trouvons les trois services de base qui nous sont utiles : connexion internet, laverie et restaurant. La nuit prochaine, les hommes du bord comptent explorer le platier de corail à la recherche de cigales et dimanche, nous quitterons l’Australie pour repartir vers notre prochaine escale, Rodrigues, située à 1985 milles d’ici.
*d’après « Atlas des îles abandonnées » de Judith Schalansky – Editions Arthaud