Mercredi 2 octobre : arrivée au petit matin devant l’île de Niue après une nuit pluvieuse et relativement ventée qui nous oblige à « freiner » pour éviter l’atterrissage nocturne. A 9h, nous nous amarrons sur le coffre n°10 du Yacht Club de Niue, « le plus grand des petits yachts clubs du monde ». Géré par des bénévoles, il met à disposition des plaisanciers une vingtaine de mouillages parfaitement entretenus, un club, une bibliothèque, un accès wi-fi, des douches… tous services fort appréciés et assez inattendus dans une île aussi petite et isolée.
Nous partons à la reconnaissance de la petite ville d’Alofi, parcours qui intègre la maison particulière qui fait office de laverie, le banquier qui ne fait pas de change, le loueur de voitures qui ne loue pas de voiture mais qui fait du change, l’office de tourisme flambant neuf qui trouve une voiture et fournit une documentation digne des meilleures stations balnéaires, le supermarché qui accueille le client avec le dicton du jour, le « Crazy Uga » (uga = crabe de cocotier) qui sert des cafés d’une saveur inespérée.
Fred dans le rôle du chauffeur en raison de ses aptitudes toutes britanniques[1], nous voici partis à la découverte des curiosités volcaniques et coraliennes qui font de Niue une île fort différente de ses consoeurs polynésiennes. Grottes et arches de pierre, abîmes et précipices, stalactites et stalagmites, eaux bouillonnantes et gerbes d’écume, enserrent le périmètre de l’île dépourvue de lagon. Le snorkeling est ici particulièrement spectaculaire. Dans un cadre très accidenté porteur de coraux de belle couleur, des eaux cristallines permettent d’observer, à plus de quinze mètres de profondeur, une multitude de poissons bariolés dont de splendides poissons perroquet. Seule ombre à ce remarquable théâtre aquatique, les serpents de mer noirs et blancs que nous tentons dans un premier temps de traiter par le mépris mais dont nous apprenons, un peu tardivement, qu’ils ont la morsure rare mais mortelle. Gérard décide dès lors de se baigner, non plus sur le mode plongeon mais sur le mode descente en douceur par l’échelle arrière du bateau.
Au cours de notre visite de Niue, nous sommes frappés par le nombre des tombes qui s’alignent le long des routes et par la quantité incroyable de maisons abandonnées. Il s’avère que l’île comptait 6000 habitants il y a encore dix à vingt ans et qu’elle n’en dénombre plus que 1200 aujourd’hui. De toute évidence, la vie ici est austère et l’évasion démographique en direction de la Nouvelle Zélande et de l’Australie difficile à enrayer. Niue a été par ailleurs lourdement touchée en 2004 par un ouragan qui n’a fait que deux morts mais entraîné de très nombreux dommages matériels.
Uhambo arrive juste à temps jeudi pour effectuer ses formalités d’entrée avant l’heure de fermeture des bureaux. Le vendredi matin nous faisons nos adieux à Benjamin, et à Régis muni du précieux sac qui contient le futur reportage sur Palmerston. Trois semaines de montage lui seront nécessaires pour produire la version finale du documentaire qui pourrait passer sur Thalassa en mai prochain.
Dans la rue, nous croisons dans une bonne humeur toute polynésienne -chants, sourires, T-shirts roses, colliers et couronnes de fleurs- une cinquantaine de manifestants affichant leurs revendications sur des sujets aussi essentiels que l’amélioration du système éducatif ou le respect de la citoyenneté et de la différence culturelle.
Uhambo qui veut repartir samedi alors que nous pensons partir dimanche, partira finalement dimanche alors que nous repartirons samedi. En tout état de cause, rendez-vous est pris aux Tonga sur l’île de Vava’u, si le vent et la mer le permettent. Au fil des milles, les connivences entre Uhambo et Alioth s’affinent et les échanges de petits services se multiplient. Côté Alioth, nous apprécions tout particulièrement la dextérité d’Alain qui change la rotule usée de notre pilote en un tour de main et la livraison par Anne d’un excellent poisson perroquet tout droit offert par nos amis de Palmerston.
Vendredi soir, veille du départ, chacun se repose ou lit dans sa cabine quand vers 22h des coups insistants frappés sur la coque et des interpellations vocales impératives nous extraient brutalement de nos couchettes. Nos voisins allemands de Voyager, venus en annexe, nous signalent que nous sommes à la dérive, loin du mouillage. Si la bouée est toujours solidement fixée à nos aussières, l’orin du corps mort a en effet été rompu. Nous choisissons un autre mouillage non sans l’aide de Uhambo qui, prévenu par VHF, éclaire son mât pour nous guider sur le plan d’eau. Il s’avèrera le lendemain, au jour, que l’orin a sans doute été endommagé et fragilisé par l’hélice d’un voilier précédent. Prévenu, le Commodore tient à venir à bord pour s’excuser au nom du yacht club et en un tour de bière, nous fait tous membres d’honneur du Yacht Club de Niue ! De notre côté nous remercions chaleureusement l’équipage de Voyager et retenons l’idée de brancher désormais notre alarme de mouillage quelle que soit l’estime portée a priori au corps mort auquel nous confions le sort d’Alioth.
La route pour Vava’u est morne et pluvieuse. Le bleu Pacifique s’est éclipsé et, comme sur toutes les océans du globe, à ciel gris, mer grise et à nuit noire, mer noire… Nous franchissons la ligne de changement de date : le lundi 7 octobre 2013 restera pour nous tous le jour que nous n’aurons pas vécu et c’est donc le mardi 8 au matin que nous parvenons à Vava’u.
Et, puisque Fred nous y autorise, nous avons le plaisir de publier le petit poème qu'il a rédigé durant ses heures de quart à l'intention de Catherine :
Hier je me couchais dimanche, Et ce matin serait mardi !?
Mais qui m'a volé mon lundi ?!
C'eût pu être pire et tomber un jeudi !
Mais j'ai pris de l'avance : c'est ma consolation;
Aujourd'hui le soleil se lève avec moi
Et au monde entier annonce un nouveau jour,
Ce soir, bien plus tard, il se couchera avec toi...
Retard est mort ! Je suis maintenant d'avance !
Belle nuit à vous tous de la part de nous cinq.
[1] Fred n’est pas peu fier du permis de conduire de Niue qu’il a dû solliciter pour l’occasion et qu’il recevra en principe à son domicile havrais d’ici trois mois…
* Niue est un des plus petits états du monde. Il fait néanmoins partie, comme les îles Cook, des états associés à la Nouvelle Zélande
PS :les photos sont sur l'album S52 Cook, Tonga, Fidji