Le mercredi 16 avril au matin, après 24h d’un mouillage très venté et chahuté, doublé de problèmes de chaîne d’ancre un peu critiques, nous mettons pied à terre sur la bellissime plage d’Anakena munis d’un programme pascuan qui n’a plus rien de touristique. La météo propice nous incite en effet à partir au plus vite. Après le coup de vent des deux derniers jours, les creux annoncés sont de 4 à 6 mètres, mais les vents de sud-ouest de 20 à 25 nœuds nous promettent une progression rapide sur la route des Gambier. A 10h, Nano, « notre » chauffeur de taxi, nous attend près de la plage avec son pick-up dans lequel nous chargeons sacs, poubelles et bidons. A l’arrivée au village d’Hanga Roa, nous passons à l’Armada pour les incontournables formalités de sortie avant de rejoindre le centre ville. Luc a en charge les courses de fruits et légumes au marché local d’où il ramènera, entre autres, papaye, ananas, taros et patates douces ; Catherine se rend au supermarché, un peu dévalisé à quelques heures de la livraison par voie aérienne de l’après-midi ; François s’approvisionne en empanadas(1) et récupère le linge à la laverie ; Dominique fait le banquier au cash point et s’occupe d’un certain cadeau d’anniversaire tandis que je suis dispensée de courses pour finalisation de la mise en ligne des deux derniers articles du blog. A 12h, missions respectives accomplies, nous nous retrouvons au pick-up. Un regret, celui de n’avoir pu prendre le temps d’une visite au musée Rapa Nui ; une satisfaction, celle de n’être pas venus mouiller devant le minuscule port d’Hanga Roa dont les abords, écumants de déferlantes, semblent réservés à l’expertise des surfeurs. Après une escale à la station essence, super-Nano avec lequel nous échangeons de chaleureux abrazos, nous dépose vers 13h à la plage des cinq Moaïs. La logistique de départ s’organise à bord (rangements, pliage de l’annexe, préparation des voiles…) et à 16h nous quittons la baie d’Anakena, non sans avoir salué le patrouilleur chilien n°41 qui, en attente d’une possibilité de débarquement de ses passagers et de son chargement, semble avoir supervisé avec bienveillance les six voiliers au mouillage durant les 48 dernières heures. Si l’île de Pâques a marqué notre entrée dans la culture Polynésienne, elle signe irrémédiablement notre sortie du Chili. Adios Amigas y Amigos d’America del Sur ! Les rondeurs verdoyantes de Rapa Nui sont baignées de soleil et c’est avec émotion que nous quittons dans une mer agitée ce petit bout de terre qui répondait autrefois au beau nom de Matakiterani : les yeux qui regardent le ciel. Motu Nui, situé sur la côte sud, échappe à notre champ de vision mais nous emportons avec nous la mémoire de l’homme-oiseau qui a donné naissance, sur cet ilot battu par les flots, à une bien étonnante histoire d’œuf de Pâques (2) .
Départ de l'île de Pâques
En mer, notre navigation plein Est nous amène à franchir les longitudes à vitesse accélérée et à vivre quelques journées de 25h pour nous maintenir en phase avec monseigneur l’astre solaire. Le samedi 20 avril, se fêtent à bord les 65 ans de François. Une bouteille de pisco sour, son apéritif préféré, rejoint curieusement le bord au bout d’une ligne de pêche et, faute de poisson, un filet de bœuf aux échalotes confites accompagné de ses purées de taro et patate douce et d’un excellent carmenère chilien, précède un gâteau que l’on ne nomme plus tant il fait partie des incontournables de nos repas de fête.
Pêche au pisco
Passées les 36 premières heures au vent appuyé et à la mer confuse, nous retrouvons notre rythme de croisière : vent portant de nord-est sous gennaker ou spi, soleil. 1400 milles nous séparent des îles des Gambier et les vents s’annoncent soutenus sur tout le parcours. A 400 milles de notre destination, le vent monte à 25-30 nœuds. Les nuages s’amoncellent, les risées sont fortes sous les grains et seule Catherine parviendra à distinguer l’île de Pitcairn que nous laissons à bâbord à quelques milles. A la suite de Robinson et Pâques, voici à nouveau une île à la destinée historique singulière puisque c’est ici, sur Pitcairn alors inhabitée, qu’en 1789 se sont réfugiés les révoltés de la Bounty, accompagnés de quelques tahitiennes et tahitiens enrôlés au passage. Bonne affaire pour les Britanniques puisque ces mutins dont le sort aurait été vite réglé en cas de retour au pays, ont offert à bon compte à la mère patrie ce petit bout de territoire au cœur du Pacifique. De nos jours, l’île est habitée d’une cinquantaine de personnes dont deux familles, les Adams et les Young, sont descendantes des marins de la célèbre frégate. Nous saluons les habitants de l’île à la VHF et notre interlocuteur à l’humour très britannique, se désole que le mauvais temps ne nous permette pas de faire halte mais nous invite à nous arrêter lors de notre prochain passage…
Mauvais temps dans le Pacifique
Parallèlement à ces conditions météorologiques qui se dégradent, notre pilote déclare forfait et nous nous organisons pour nous relayer à la barre durant les 72h qui nous séparent de l’arrivée. Notre dernière nuit de navigation se solde par un peu de casse à bord… Le moral est égratigné mais le soleil du matin et le profil des Gambier qui se dessine à l’horizon ont vite fait de réjouir l’équipage. En fin de matinée nous franchissons la barre de corail et entrons au paradis : un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, l’un est sûr, l’autre ne l’est pas... Une dizaine de bateaux sont au mouillage devant le village de Rikitea (1500 hab), situé sur Mangareva, la principale île de l’archipel. Nous retrouvons Shag mais aussi Cypraea qui part malheureusement le lendemain de notre arrivée. A terre, curieuse sensation que celle de se retrouver face à un gendarme français dans une gendarmerie française pour procéder à notre immigration. Etrangère aux cohortes touristiques, la population accueille les équipages de passage avec des sourires éclatants. Les ressources alimentaires locales sont très limitées mais la baguette du boulanger a le pouvoir de se plier en quatre au fond du panier et de délicieux pamplemousses, laissés à disposition par les autochtones, se ramassent à volonté sous les arbres. La météo annonce un coup de vent pour la fin de la semaine : départ après demain ou lundi, selon...
Amitiés de tout l'équipage
Petits chaussons fourrés au fromage, au jambon ou à la viande.
Dans la tradition pascuane, chaque printemps, des nageurs s’élançaient de la falaise de l’île pour recueillir sur l’ilot de Motu Nui le premier œuf pondu par des oiseaux migrateurs (sternes ou frégates). Le vainqueur conférait au chef de son clan le titre d’homme-oiseau, souverain spirituel de l’île pour un an et représentant de Mak-Maké, le dieu créateur.