Nous parvenons à Puerto Deseado le lundi 28 novembre à 6h30. Si le grand port de pêche n’est pas équipé pour accueillir les bateaux de plaisance, les voiliers en route vers le Sud reçoivent ici un accueil bienveillant des autorités de la Prefectura Naval et de l’environnement portuaire. Nous accostons aux côtés de Resolute, -le bateau de Hans, Barbara et Franck, arrivé la nuit même- afin d’effectuer les formalités administratives et de demander la possibilité d’accoster à un ponton pour résoudre nos problèmes de guindeau. Mais le vent du Sud monte sévèrement et la Prefectura exige que nous allions au mouillage situé face au port. Nous obtempérons à contre-cœur quant au moment d’embrayer, le moteur se bloque et s’oppose à tout nouveau démarrage. Et, dixit Thibaut, dans la voile, le secret c'est le moteur...
La venue à bord de Franck, mécanicien professionnel, ne permet pas de diagnostiquer une panne a priori lourde et qui nous laisse tous perplexes. Cette nouvelle donne ne modifie pas la position des autorités et, alors que nous écrasons notre voisin Resolute sous la pression du vent du Sud, nous obtenons l’aide du remorqueur Gipsy V qui, entre deux déplacements de bateaux de pêche, nous emmène au mouillage situé à un bon mille du port et où sont déjà ancrés Pégase et Babinka.
L’idée de séjourner au mouillage sans guindeau ni moteur, en période de vives eaux, sous vent de 30 nœuds et courant de plus de 5 nœuds nous fait un peu froid dans le dos et nous mouillons, vaille que vaille, nos deux ancres de secours dans l’espoir de faire face à la situation jusqu’au retour du Gipsy V prévu le mardi à 17h. Ce n’est que le début d’un enchaînement de mauvais quarts d’heure qui bout à bout pèseront lourdement leurs 48h…
La première nuit est inconfortable et exige une veille régulière, notamment de la part de Dominique qui a hérité de la responsabilité de chef de bord sur cette semaine décidément difficile. Il s’avère assez rapidement que le bout d’une des deux ancres s’est enroulé autour de la quille obligeant Luc à plonger dans une eau à 10° pour la dégager. Il est alors 17h, mardi 29 novembre, et nous attendons en vain le remorqueur Gipsy V qui nous a fait faux bond. La déception est grande d’autant que le bout de l’ancre se bloque à nouveau sous la coque : nous nous armons mentalement pour une nouvelle nuit au mouillage. A marée montante, vers 2h du matin, l’ancre dérape, le bateau file à 1,5 nœuds dans la baie heurtant légèrement Pégase sur son tableau arrière. Cette fois encore, le dérapage est notre chance : la panne du guindeau ayant été diagnostiquée la veille, un court-circuit de la commande électrique, nous permet de descendre l’ancre principale. Une heure de veille nous permet de nous assurer de la bonne tenue du mouillage et de repartir soulagés dans nos couchettes, non sans avoir programmé ume nouvelle plongée de Luc à 6h du matin, heure de l’étal, pour dégager le bout de son dédale sous-marin.
Après de nombreux appels à la VHF, Gipsy V vient nous chercher à 12h et c’est un immense soulagement pour nous tous que de nous retrouver sérieusement amarrés dans l’enceinte du chantier naval. La fatigue nerveuse et physique se lit sur les visages. Le cauchemar ne semble pas tout à fait terminé pour Hubert qui, la nuit suivante réveille son voisin de cabine en s'exclamant : "Dominique, le bateau bouge !". Mauvais rêve...
Outre le sentiment d’être bien mal récompensés d’un entretien attentif et méthodique du moteur, nous craignons une réparation très lourde impliquant une attente de plusieurs semaines dans la ville de Puerto Deseado dont le seul charme se situe au niveau de sa flotte imposante de bateaux de pêche. Le mécanicien promis ne vient pas le jeudi et, nostalgiques, nous voyons Babinka, Pégase et Resolute profiter au petit matin d’une fenêtre météo fantastique pour faire route vers Ushuaia. Mais le jeudi soir nos équipiers, non contents d'avoir passablement souffert, nous réconfortent d'un apéritif et d'un dîner savoureux au Puerto Cristal.
Sur notre insistance, l’équipe du chantier se mobilise le vendredi : par chance, le diagnostic est relativement rapide. Un défaut de fabrication d’une pièce de l’inverseur a provoqué le blocage du moteur. Par une chance inouïe la pièce est disponible à Puerto Deseado (15000 hab). Une autre pièce a été endommagée mais ne semble pas devoir nous empêcher de partir. A l’heure qu’il est nous espérons quitter Puero Deseado demain midi, samedi, pour profiter des derniers jours de la fenêtre météo mais rien n’est encore sûr à cette heure.
Tout ceci pèse lourdement en incertitudes sur nos deux équipiers, Elisabeth et Hubert, qui attendent demain pour décider de leur sort : départ immédiat ou différé. Le team Alioth serait bien déçu de ne pouvoir leur permettre de rallier Ushuaia par mer selon le programme prévu et de ne pas prolonger la vie de l’équipage jusqu’à l’échéance.
En conclusion :
1 - nous avons beaucoup de chance dans notre malchance : l’arrêt du moteur à la Caleta Horno ou dans l’Ile des Etats se serait avéré beaucoup plus grave ; le facteur chance a aussi joué avec nous dans nos apprentissages de dérapage semi-contrôlé.
2 - nous ne pouvons que nous féliciter de l’implication et de la solidarité de tout l’équipage durant ces durs moments et de la fée humour qui fut notre meilleur anti-dote contre les chutes de moral. Merci aussi aux équipages de Babinka, Parsifal et Resolute qui nous ont apporté leur soutien durant ces trois jours partagés à Puerto Deseado.
3 - Magellan, en 1520, avait fait escale à Puerto Deseado pour y faire des travaux et avait nommé le lieu Bahia de los trabajos (la baie des travaux) : c’est dire à quel point nous nous sentons proches de notre prestigieux prédécesseur.
Dernière nouvelle importante : un intense tournoi de cartes réunit les protagonistes de l'équipage -hors Dominique, nommé Président de jury- depuis le départ de Barlovento. Luc mène avec un succès aussi douteux qu’écrasant. Résultat définitif en fin de croisière.
Précisons qu’au cours de la descente et à l’occasion du passage des 46° Sud nous avons eu une pensée pour tous nos amis des 46° Nord.