De Puerto Natales à Puerto Eden
Le vendredi 24 février est une date très attendue de l’agenda d’Alioth : Gérard et Fred, après un long voyage, font leur arrivée en soirée à Puerto Natales à bord d’un bus de la compagnie Fernandez. Un petit passage à l’Armada chilienne permet de valider le Zarpe[1], le document descriptif de notre dernière phase de navigation qui incite Fred à évoquer le vieux principe Shadok : « Pourquoi diable chercher à savoir où on va puisque, une fois arrivés, on aura bien le temps de savoir où on est ».
Le 25 au matin, pour la première fois, l’eau de condensation a gelé à l’intérieur des capots mais le temps est absolument magnifique dans la baie de Puerto Consuelo d’où nous partons enrichis de nombreux souvenirs. Quelques milles plus bas, nous laissons Puerto Natales à bâbord et nous engageons sous un vent agréable et portant dans le golfe Almirante Montt, puis dans le canal Kirke, franchi au moteur et à contre-courant, pour rejoindre la bahia Valdès sous de petits airs et mouiller en douceur à l’île Jaime.
Si deux bouteilles de whisky ont fait les frais de la logistique d’arrivée à Puerto Natales, Fred, et surtout Gérard le responsable des commandes, n'ont rien oublié des pièces attendues : pédale de pompe de calle, éléments de winch, pièce de moteur, coulisseau de chariot de grand voile… et complètent leur prestation de livreur de leurs savoir-faire techniques. Avec leur aide, le dessalinisateur reprend du service, les coups de mou du moteur s’éclipsent et le winch avant se refait un profil.
La navigation se poursuit sous un temps splendide : « Je savais que j’allais dans le Sud, s’exclame Fred, mais je ne pensais pas qu’il ferait aussi beau ! ». Le spi est de sortie à deux reprises et nous reprenons le rythme des remontées dans les canaux avec arrêt nocturne dans les caletas : canal Union, canal Sarmiento, canal Innocentes, canal Concepcion, canal Wide, canal Icy puis un crochet par le seno Eyre qui nous mène au glacier Pie XI (3,5km de façade sur 50m de hauteur), que nous admirons longuement dans une solitude totale.
Un petit arrêt le 29 février à la caleta Lucrecia nous donnera l’occasion d’une promenade à terre un peu escarpée suivie d’un réveil matinal très orienté « chasse et pêche » : expulsion d’un gros castor en phase d’exploration du cockpit suivie de la prise d’un centolla dans le panier à crabes.
La journée du 1er mars nous mène à Puerto Eden. L’arrivée se fait sous un soleil éclatant et nous retrouvons au mouillage Land Fall, un bateau américain avec les équipiers duquel nous partagerons une agréable soirée à bord. Le petit village de 150 habitants est très pauvre. Un cheminement en bois serpente le long du rivage, reliant les maisons disséminées sur le front du chenal. L’Armada, l’école, la poste et le terminal du ferry flambant neuf apportent un peu de prestance à un village aux conditions de vie difficiles où les chiliens tehuelches survivent de la pêche de proximité et de la vente d’objets touristiques à l'occasion du passage du ferry. Deux ou trois supermercados -en fait de toutes petites échoppes très peu achalandées, dont le supermercado Eden qui a nos faveurs-, nous permettent d'ajuster quelques approvisionnements. Les habitants accueillent avec beaucoup d’attention les équipages de passage et proposent leurs services : un pêcheur embarque Luc pour une relève des casiers qui nous vaudra un lot de délicieux centollas ; sa voisine offre de nous fabriquer du pain et de laver du linge. Le 5 mars, Puerto Eden va s’ouvrir à un nouveau monde : en ce jour de rentrée des classes, le village sera relié à Internet.
Le golfe des Peines
Le beau temps des premiers jours s’est évanoui et une succession de dépressions s’annonce pour la semaine. Nous décidons d’attendre l’amélioration des conditions à Puerto Eden avant d’entamer la phase finale de remontée des canaux (80 milles) et de nous mettre en poste d’attente à l’entrée du golfe des Peines -qui , comme son nom le laisse supposer-, ne s’aborde pas à la légère.
Nous levons l’ancre de Puerto Eden le 3 mars au matin. Le temps est exécrable et nous tirons des bords tout au long d’une longue journée de pluie battante. Nos deux écoutes de solent, un peu usées il est vrai, ne résistent pas aux mauvais traitements du parcours et une brusque claque de vent nous vaut un coup de gîte très violent aux conséquences heureusement mineures. Après un mouillage nocturne à la caleta Yvonne, le soleil est revenu et nous remontons le canal Messier dans des conditions plus agréables. A 35 milles de là, alors que le vent remonte à 40 nœuds, nous nous réfugions dans la caleta Point Lay où, fait exceptionnel, s’abritent trois bateaux : Steven, Land Fall et Alioth.
Dès le lendemain matin, nous poursuivons -au moteur pour gagner du temps- la remontée du canal Messier et nous nous positionnons dans la belle caleta Lamento del Indio. 24h d’attente sont encore nécessaires avant d’aborder le Pacifique. Vécues sous une pluie diluvienne, elles remémorent à Fred les fondamentaux de la météo écossaise :« Rain becoming showers, showers becoming rain » et nous permettent d’entretenir plus que jamais l’ambiance tripot du bord. A l'addiction au shit head s’ajoutent les parties de domino grâce au jeu apporté à bon escient par Gérard... qui connaît les passions de Fred. Le team Alioth, faute d’une bonne maîtrise de la technique du jeu, connaît maintenant tout du vocabulaire spécialisé : « charge et décharge», «Goder » (le très cauchois 5/4), « boudé », « la touille » et « les petites blancheurs » …
Le 7 mars au matin, « nous y allons » (dans le golfe des Peines) et saluons le phare de San Pedro sous un ciel plombé ponctuellement agrémenté d’averses. La bascule de vent de sud est prévue pour la fin d’après midi, et, dans un premier temps, le vent de secteur nord nous contraint à tirer un long bord plein ouest peu rapprochant. L’organisation du bord se fait en quarts glissants : chaque deux heures, un nouvel équipier prend le relais de celle ou celui qui a épuisé son temps de quatre heures de veille.
La fin de journée et la nuit se passent au moteur mais le 8 mars nous sommes récompensés : vent du sud, grand soleil et spi s’allient pour nous mener avec enthousiasme à la vitesse de 9-10 nœuds. Nous affalons avant la tombée du jour mais, par chance et comme annoncé, le vent se maintient à 20-25 nœuds toute la nuit nous permettant une progression moyenne de 8 à 9 nœuds sous solent. Après un envoi de spi dans la matinée, le vent faiblit rapidement et nous finirons notre route au moteur pour atteindre, Puerto Queilen, au sud de l’île de Chiloé, en début de nuit.
Chiloé et Puerto Montt
Dès le lendemain matin, nous remontons vers Castro, la capitale de l’île, sous un soleil confirmé. Face à un paysage verdoyant, nous naviguons -en T-shirts !- entre les îles. L’île de Chiloé s’est engouffrée dans le nouvel eldorado de l’élevage du saumon et les berges sont envahies de fermes marines dont les bâtiments flottants ponctuent le paysage. La pollution est à la hauteur de l’intensité de l’industrie et, retour à la civilisation oblige, nous regrettons déjà la pureté des eaux du grand sud.
Le Chili est le second producteur mondial de saumon après la Norvège. Il dédie essentiellement sa production au Japon qui n’achète que du poisson vivant. Pour ce faire, et avant de traverser le Pacifique, les poissons sont chargés dans des containers-viviers alimentés en oxygène que nous verrons transiter sur des barges vers Puerto Montt.
A Castro, nous mouillons devant les palafitos, les traditionnelles maisons sur pilotis du petit port et visitons la cathédrale de San Francisco, l’une des 16 églises en bois de Chiloé, véritables petites merveilles architecturales, classées au Patrimoine Mondial de l’Unesco. Ici aussi la pauvreté domine alors que le tourisme naissant apporte son lot d’investissements malencontreux. Un dîner au restaurant El Sacho nous permet de goûter aux moules géantes patagoniennes face auxquelles nous jurons définitivement fidélité à leurs petites sœurs barfleuraises.
Le 11 mars la journée est dédiée à Gérard qui franchit le cap de ses 64 ans, évènement fêté sur la petite île de Michuque où les palafitos ont un charme tout particulier. Le 12 mars, une dernière ligne presque droite nous permet de franchir les 60 derniers milles de la saison et de rallier Puerto Montt. Derniers bords, dernier affalage de grand voile avant de nous amarrer au ponton de la marina Oxxean. Un dîner au Fogon del Leňador nous régale de délicieuses sapaipillas (petits pains frits) et d’un filet de bœuf qui n’a rien à envier à la viande argentine et c’est dans le cadre semi-branché d’El balcon que nous clôturerons cette belle période de navigation pacifique, satisfaits d’avoir tenu dans les temps le pari d’un programme de mille milles (sur l’eau) qui n’était pas gagné d’avance.
A la veille de leur départ, Fred et Gérard, qui ont des doigts en or, consacrent leur après-midi à une méticuleuse réparation du dessalinisateur. Il fait beau et chaud et nous savourons à leur juste valeur ces cadeaux des derniers jours d’été. La question de l’hivernage est bouclée en un temps record : la marina voisine, le club Reloncavi, peut accueillir Alioth au sec dans d’excellentes conditions et c’est un soulagement pour le team qui se prépare à plier bagages après travaux. Dominique quitte le bord dans un premier temps pour cause d’assemblée générale de la FFV, suivi de Christiane et Luc qui rejoindront la France le 5 avril.
Pour le plaisir de conclure sur quelques bons mots dont il ne vous a pas échappé que Fred était friand, nous citerons deux de ses proverbes cauchois favoris :
- « Il a une descente que j’aimerais pas remonter à vélo »
- « L’ivrogne c’est un mec qui boit comme toi, mais qu’t’aimes pas ».
Avec une pensée toute particulière pour Catherine et Marie-France, sagement -on le suppose- restées au Havre pendant tous ces bons jours, nous vous disons à bientôt et au plaisir de vous retrouver en ligne pour les dernières nouvelles de la saison.
Le team Alioth
PS1 : sachez que si vous volez sur Air France mieux vaut respecter les consignes de bagages. Fred et Gérard ont appris à leurs dépens que l'honorable compagnie qui porte les couleurs de notre pays surtaxe de 100€ les malheureux voyageurs qui ont préféré deux sacs d'un total de 23kg à l'unique sac réglementaire de 23kg. Houuhhh.... Air France !!!! La photo du départ de Puerto Montt avec sac unique a malheureusement échoué mais si vous voulez des conseils en matière de packaging aérien, une seule adresse Fred & Gérard - Le Havre.
PS2 : les photos correspondant à cet article sont sur l'album S3-6 de Puerto Natales à Puerto Montt
PS3 : des photos envoyées par Laurent ont été ajoutées à l'album S3-5 de Puerto Williams à Puerto Natales