Le temps est calme et beau en cette matinée du jeudi 21 janvier. Prenant le temps d’une mise en route confortable, nous quittons la marina de la Corogne l’esprit serein de nos réparations abouties. Nous saluons Hercule et sa tour exemplaire et savourons la beauté de la côte galicienne pour faire route radicalement vers l’ouest. Contourner la zone de basses pressions à venir, impose en effet de prendre rapidement le large moyennnant la traversée de la queue de la dépression en cours. Cette dernière ne se fait guère attendre et le déjeuner, sous un vent bien appuyé et une houle déjà fortement creusée, se doit d’être sommaire et hâtif. Le vent monte et nous voici rapidement sous deux ris et ORC. La fraternité du trio Tincelin s’exprime rapidement dans un mal de mer aussi inattendu que partagé, néanmoins modulé à des degrés divers. La skipper stagiaire, quoiqu’occupée à d’autres tâches, rumine la théorie du complot et la proscrite pratique du bizutage …
Les heures à venir s’annoncent rudes. Dominique, fortement atteint, parvient à surmonter courageusement son état lorsque la nécessité s’en fait sentir ; Luc sait, avec beaucoup de pertinence, reprendre ses esprits pour assurer la seconde phase nocturne. Nous nous réveillons le lendemain, heureux de savoir le plus difficile derrière nous et de l’expectative des sympathiques vents portants qui doivent nous convoyer jusqu’à Madère. Forts de cette certitude et quoique fatigués par cette nuit éprouvante, nous extrayons le spinnaler du peak avant en nous réjouissant de la perspective de la descente à venir.
Si le halebas de bôme n’a pas résisté à la pression de la nuit, sa réparation s’effectue sans problème majeur. Plus grave est le constat révélé par l’oeil avisé de Dominique : l’inter tribord a lâché dans le gréement. Phase de perplexité, de contact télphonique avec chantier et gréeur, d’affalage de la grand voile, de préparation d’une intervention dans le mât : mais la mer s’avère indubitablement trop forte pour permettre quelque réparation que ce soit. Hésitation sur la route à suivre : repli vers Vigo ou le Portugal, ou poursuite vers Madère qui , à 700 milles nautiques, exige ses quatre journées de route. La seconde solution a notre préférence par simple comparaison des conditions météo : vents forts et de sud-est le long de la côte ibérique, vents de nord 15-20 nœuds en direction de Madère. Les bastaques de l’ORC solidement tendues au niveau des galhaubans pour consolider la tenue du mât, nous reportons la programmation de la réparation à une phase d’accalmie et sollicitons les dieux de la mer et du vent de bien vouloir veiller à notre cause.
Nous rehissons la grand voile et, sous solent, poursuivons notre route à 8-9 nœuds. Le soir le vent monte à 25-30 nœuds et il n’est pas facile de fermer l’oeil à l’ombre de ce grand mât fragilisé… Il nous faudra attendre 48h, soit dimanche après-midi, pour que les conditions de la réparation soient réunies.
Luc, l’habituel voltigeur de nos épopées d’altitude, sera l’opérateur retenu, Dominique se consacrant à la tâche exigeante du winchage. Il faudra s’y reprendre en trois fois pour revisser l’inter bâbord qui, sans avoir lâché, s’était lui aussi détendu, rattraper l’inter tribord parti se loger dans les fils du lazy bag et refixer ce dernier dans la loge qu’il n’aurait jamais dû quitter. L’équipage heureux de cette opération réussie se réjouit de la tranquillité d’esprit qu’elle apporte même si une intervention de consolidation s’imposera au port.
Pendant ce temps, si le vent de nord reste frais, la température s’adoucit et nous nous effeuillons progressivement et agréablement de nos couches de pôlaires en prenant goût à ce nouveau mode de vie qui devient progressivement le nôtre.
L’approche sur Funchal, Grande Madère, se fait en fin de nuit du mardi 26 janvier. Après avoir laissé Porto Santo à notre gauche, nous savourons le lever de soleil qui éclaire progressivement les hautes falaises volcaniques de Madère. Une fois les Islas Deserthas abandonnées sur bâbord, nous nous dirigeons vers la Pointe de Garaujo dominée de son immense Christ statufié et entamons les préparatifs de notre arrivée. Le temps est doux et le soleil se fait chaud : nous atterrissons en douceur sous un temps printanier dans le sympathique port de Funchal où nous attend un poste à quai. Outre l’agréable sentiment d’avoir bien mérité ce havre de paix, nous partageons la sensation profonde et heureuse de faire notre entrée dans le monde de la grande navigation.