Sénégal, côté terre
Arrivés à Dakar -Baie de Hann- le 8 février, nous basculons progressivement de la période d’acheminement du bateau vers notre intégration à l’équipe de Voiles Sans Frontières avec laquelle nous participerons à deux missions médicales dans le delta du Siné Saloum du 20 février au 28 mars 2010.
Entre deux, les temps libres, encore nombreux, nous offrent le loisir de quelques ballades touristiques. Le parcours initiatique débute au marché aux poissons de Hann : un moment surréaliste pour qui ne connaît pas l’Afrique, un temps d’exploration sensorielle et humaine intense. S’ensuit une après-midi d’accomplissement des formalités auprès de la police, des douanes puis de la direction des douanes, point de départ d’un temps de latence non précisément défini mais néanmoins préalable à l’autorisation officielle de séjour d’Alioth en eaux sénégalaises.
Pendant ce temps notre ami François, avec lequel nous avons partagé un magnifique moment de navigation, laisse émerger ses souvenirs en redécouvrant la maison et le collège de ses jeunes années ; conclusion de notre équipée commune sur la superbe plage et au saisissant marché de Yof que nous explorons de conserve avant un vol direct pour Brest ; un au-revoir marqué d’un fort espoir réciproque d’un retour sur Alioth la saison prochaine en compagnie de Catherine.
Un court séjour à Saint-Louis laisse entrevoir une autre facette de la vie et de l’histoire sénégalaise : flamboyant passé colonial, passablement décati mais empreint d’un charme indescriptible sur cette autre Ile Saint Louis où la pauvreté semble plus flagrante encore qu’à Dakar. L’exploration en pirogue de l’hinterland de la langue de Barbarie qui relie, à quelques dizaines de mètres de distance, les tonitruantes plages de l’Atlantique aux bords sereins du fleuve Sénégal, nous donne accès au spectacle de la faune et de la flore locales. La présence de nombreux hérons nous rappelle cette charmante histoire qui nous fut racontée par notre ami Philippe et que nous destinons à nos petits enfants. Il s’agit de trois petits canards qui rencontrent un héron en l’apostrophant en cœur : « tapon, tapon, tapon… ». Le lendemain les canetons, croisant à nouveau le héron, réitèrent : « tapon, tapon, tapon… ». Le troisième jour la scène se reproduit et le héron gentiment agacé les reprend sur un ton qui se veut convaincant : « Héron, héron, petits, pas tapon »…
Face à Saint-Louis, le village des pêcheurs de Guet Ndar offre un spectacle incroyablement impressionnant entre concentration des pirogues, profusion des activités de stockage et de séchage des poissons et grouillement humain qui anime l’ensemble. De la pointe nord de l’île d’où se dessine la frontière mauritanienne, à la pointe sud qui donne vers l’embouchure, les joueurs de football envahissent la rue, les tresseuses de nattes toutes vêtues de blanc mènent un curieux cérémonial de danse et de chant et les vendeurs développent courtoisie et humour dans les marchandages qu’ils s’entêtent à nous imposer sympathiquement à chaque coin de rue. « Nous sommes collants comme des mouches mais nous ne piquons pas comme des moustiques » se plaisent-ils à souligner… Très local concert afro-jazz, belle exposition de photographies d’Olivier Beytout, sympathique petit restaurant « le coup de torchon » qui devient notre coup de coeur…
Nous sommes frappés par le tempérament extrêmement chaleureux des Sénégalaises et des Sénégalais, par leur prestance et leur élégance, jusque dans les quartiers les plus démunis, par leur capacité enfin à composer avec flegme avec l’état délabré de leurs véhicules, la confusion du trafic automobile et piétonnier, le manque de travail, l’environnement difficile qui les entoure. Pendant ce temps, la téléphonie Orange affiche sur le terrain une présence envahissante, voire quelque peu déplacée : business oblige.
Au retour vers Dakar, visite de la manufacture de tapisseries de Thiès créée par Lépold Sédar Senghor et l’actuel directeur général du lieu que nous avons le plaisir de rencontrer. C’est de la rencontre entre ces deux hommes qu’est née la volonté d’introduire au Sénégal l’art de la tapisserie en le déclinant sur un mode propre à la création artistique africaine. D’où ces manufactures établies à Thiès qui emploient une cinquantaine de personnes et produisent des pièces remarquables d’artistes du Sénégal chaque année sélectionnés sur concours.
Autre parcours historique mené sur le territoire de l’ile de Gorée. Charmante île au style méditerranéen, elle enferme en son sein la terrible mémoire de la traite négrière symboliquement immortalisée dans le lieu dit « la maison des esclaves ». Le petit musée historique installé dans le puissant fort Jean d’Estrées est d’une belle facture pédagogique mais l’histoire de l’Afrique est formidablement compliquée et nous avons un peu de mal à trouver nos marques sur ce passionnant mais difficile sujet.
… Et puis, subitement, nous voici quelque peu honteux de notre ciel bleu et de nos 25° C à l’annonce du vol plané d’Alexis, fils de Dominique, sur une plaque de verglas parisienne et sur le dur constat de son coude cassé…
Notre vie quotidienne se déroule en relation étroite avec le CVD -Centre de Voile de Dakar- qui accueille les plaisanciers de passage à l’exclusion de toute activité nautique locale. Connexion internet dans le petit bar sympathique de Dominique, délicieuse cuisine de Khaddy, moussantes prestations de lavage de Fatou, navettes taxi incessantes de Moussa et de ses co-équipiers, ventes de l’épicerie Rachid ou de Mama Légumes, dépannages techniques en tous genres… jusqu’au gardiennage de nuit du bateau par un autre Dominique qui permettra notre déplacement à Saint Louis.
Vendredi, nous verrons un peu tristement Elisabeth reprendre l’avion pour Paris : nous aurons partagé avec elle des moments inoubliables et apprécié la constance de sa bonne humeur et son investissement à toute épreuve dans la vie du bord et dans la préparation de la mission de VSF. Autre présence bien regrettée également, celle d’Arielle qui a dû renoncer à nous rejoindre au Siné-Saloum : trop de cumul de fatigue en perspective au milieu d’une année professionnelle harassante.
Au CVD, petit clin d'oeil à Nicolas Bouvier