Curieuse histoire coloniale que celle de Buenos Aires : sa découverte en 1536 par Pedro de Mendoza, appuyé de 16 bâtiments et de 1600 hommes, se conclut par une gigantesque famine, l’arrivée tardive dans la saison ayant interdit l’entreprise de toute culture. L’hostilité des populations indigènes ne laissant aucun espoir de survie, la place fut délaissée au profit d’une remontée du Parana jusqu’à Asuncion, l’actuelle capitale du Paraguay, où les Indiens Guaranis s’avérèrent plus accueillants.
Ce n’est qu’en 1580 que des Espagnols d’Asuncion vinrent réinvestir Buenos Aires. A leur grande surprise, le bétail abandonné avait largement proliféré dans la pampa avoisinante : cet épisode donna naissance à l’activité de production et d’industrie de la viande si propre à l’univers argentin.
En 1806, les Anglais prirent pied à Buenos Aires mais la constitution d’une milice locale, renforcée par l’action des femmes jetant abondament eau et huile bouillantes de leurs fenêtres, permit de reconduire manu militari les indésirés vers le port. La très vivante rue ‘Defensa’ perpétue la mémoire de cette valeureuse et insolite bataille dont le succès encouragea les Argentins à secouer le joug espagnol : le 25 mai 1810, le vice-roi d’Espagne était destitué. Ce ne sera malgré tout qu’en 1880 que Buenos Aires deviendra capitale fédérale.
Ce petit cadre historique campé, quelques jours à Buenos Aires nous ont permis, partiellement en l'excellente compagnie de Bethou, d’Elisabeth et de Dominique, de faire nos premiers pas dans cette ville réputée pour son caractère si ‘européen’ -ce qui, aux yeux des émetteurs, se veut bien sûr un qualificatif flatteur.
Elle l’est en effet dans son tracé et son architecture, ses quartiers chics et ses monuments. L’ensemble de la ville est aéré et d’immenses parcs accueillent les Portenos en foule durant les week-ends. Le Microcentro se distingue tout d’abord par la présence de ‘la Casa Rosada’, le séduisant palais présidentiel que l’on visite sans difficulté aucune, bureau présidentiel et salle du conseil des ministres compris, à l’occasion des jours fériés ; en quasi vis-à-vis, la cathédrale métropolitaine déroute avec ses formes de temple grec et ces deux grands bâtiments, civil et religieux, dominent la tristement célèbre ‘Plaza de Mayo’ où le 24 mars dernier, à l’occasion de la 35ème commémoration de l’arrivée de la dictature au pouvoir, 50 000 Argentins se sont réunis pour entretenir le souvenir et réclamer justice pour les 30 000 disparus. L’avenue de Mai qui joint la place de Mai à l’imposant Palais des Congrès réunit quelques uns des plus célèbres cafés : Tortoni, London City, Iberia... Les cafés de Buenos Aires participent intensément aux charmes tout particuliers de la ville, de même que ses nombreuses et superbes librairies qui traduisent élégamment l’intensité de la vie culturelle argentine.
La casa Rosada dont la couleur est due selon les uns au mélange des couleurs rouge des Fédéralistes et blanche des Unitaristes et, selon les autres, à une tradition de peinture des façades des maisons avec du sang de boeuf.
Le quartier de San Telmo, père du tango, est un des plus chaleureux de Buenos Aires. Le dimanche matin, la place Dorrego et les rues avoisinantes accueillent un charmant marché d’antiquités où Argentins et touristes aiment flâner au son du tango. C’est à San Telmo également que, sous la houlette des Elisabeths, le restaurant DesNivel nous accueille pour notre dernière soirée en équipage : c’est un des hauts lieux de la vie de Buenos Aires où, dans un décor insolite et des salles pleines à craquer, on déguste de délicieuses « parilladas » sur de modestes toiles cirées. Toujours à San Telmo, le Bar Sur dans son décor chaleureux et intime nous permettra de vivre une magnifique soirée portée par le rythme et la prestance du tango. Les essais de l’équipage, pourtant gouvernés par des experts, seront peu concluants : en bref, pied marin et pas argentin ne sont pas forcément nés le même matin.
Tango au Bar Sur
Flâner à la Boca, le quartier voisin, permet de découvrir les quartiers portuaires traditionnels et les célèbres maisons métalliques, maintenant intensément colorées, qui accueillirent les immigrants Basques puis Italiens au XIXème siècle. L’intéressant musée des Beaux Arts de la Boca nous présente le grand peintre de la vie portuaire, Benito Quinquela Martin (1890-1970), dans sa propre demeure. Sa peinture, sombre, rude et colorée, ses grands formats concentrent une expression très engagée aux côtés des travailleurs du monde portuaire.
A Buenos Aires, tous les débats sont dans la rue. Le débat politique traditionnel en premier lieu qui oppose les ‘pro’ aux ‘anti’ Kirchner. Le débat sur la mémoire et le souvenir entretenus par des expositions de photographies ou de peinture, notamment par la singulière œuvre du peintre Diego Perrotta qui, en cette date anniversaire, traduit au travers d’une galerie de portraits les concepts porteurs du souvenir des Disparus. Ce sont aussi les revendications des immigrés exprimées par le mouvement MILES (Mouvement pour l’intégration latinoaméricaine d’expression sociale) qui manifeste dans la rue, le mouvement des vétérans qui réclame son dû, les Indiens -essentiellement boliviens- du Mouvement sans terre qui, sous la banière Wiphala revendique un acte de réparation historique.
Buenos Aires est avant tout ville d’art et de culture. Deux superbes expositions nous permettent de découvrir la vie artistique argentine ; tout d’abord au travers de l’extraordinaire collection de la Fondation d’art Amalia Lacroze de Fortabat qui porte notre regard sur nombre de grands peintres argentins des XIXème et XXème siècles : Fernando Fader (1882-1935), Carlos Alonso (né en 1929), Antonio Berni (1905-1981), Emilio Pettoretti (1892-1971), Romulo Maccio (né en 1931) ainsi que le grand artiste Noé que nous avions découvert au MAM de Rio ; puis au Musée Eduardo Sivori qui réunit des œuvres des meilleurs artistes contemporains dans le cadre d’un grand concours annuel. Le quartier de la Boca nous invite à une visite inattendue d'une exposition de la franco-américaine Louise Bourgeois qui se tient à la Fondation PROA sur une sélection d’une petite centaine d’œuvres très appréciées du public.
Buenos Aires nous offre par ailleurs sa première ‘Nuit Blanche’. Le samedi 26 mars sont en effet orchestrés 150 spectacles dans l’ensemble de la ville de 19h à 7h du matin dans le cadre de « La noche en vela ». Sans avoir la prétention d’aller jusqu’au bout de la nuit nous nous construisons, en centre ville un joli programme débutant à l’Obélisque, place de la République, par l’audition de la grande chanteuse argentine Elena Roger suivie d’une impressionnante production d'un ensemble de Tambours Japonais ; pour se poursuivre ensuite avenue de Mai par un ‘tango, scénario vertical’, magnifique spectacle joué aux fenêtres illuminées de la maison de la culture, des vidéo-installations « zoo digital » implantées au niveau des kiosques de journaux, et un spectacle de carnaval uruguayen « La Clave » incroyablement expressif et comique. Nous achèverons notre parcours par un magistral spectacle de flamenco au bar Iberia. Chapeau et merci Buenos Aires pour cette grande première !
Il faut préciser qu’Alioth bénéficie à Buenos Aires d’une résidence de choix. Accueilli -et même invité durant toute une semaine- à l’éminent Yacht Club Argentino, il tient son rang et les couleurs françaises devant les docks récemment rénovés et une envolée d’immeubles tout juste sortis de terre dans une belle recherche architecturale.
Le Yacht Club Argentino
Quant aux Argentins ils sont ‘classe’, élégants et charmants et rien ne vaut ces petits jokes repris par le guide Lonely Planet pour comprendre l’humour qu’ils savent avoir sur eux-mêmes :
« Comment procède un Argentin pour se suicider ? » « Il lui suffit de tomber de son ego. »
« Un psychologue appelle un de ses collègues à 2h du matin. « C’est une urgence » dit-il.
« A 2h du matin ? Elle a intérêt à être sérieuse » répond le collègue.
« J‘ai un client très spécial » dit le premier. « C’est un complexe d’infériorité ! ».
« Un complexe d’infériorité ? Mais il n’y a rien de plus commun ! » s’exclame le collègue.
Et le psychologue de répondre « Oui, mais… c’est un Argentin ».
Bethou et Elisabeth sont reparties le 22 mars pour passer de l’automne argentin au printemps français. Bethou s’est réjouie de ce que « les trois capitaines ne l’aient pas appelée vilaine » et c'est avec beaucoup de plaisir que nous avons pu faire avec elles deux ce magnifique parcours du Brésil à l’Uruguay et à l’Argentine.
Dominique, absent une semaine pour obligations fédérales, est revenu le 27 mars de Paris et il ne nous reste plus à ce jour qu’à procéder à l’hivernage ce qui fera vraisemblablement l’objet du tout dernier article de la saison. Le retour sur Paris est programmé pour le 14 avril et, -pour Christiane et Luc surtout, partis durant sept mois-, c’est une grande joie que de pouvoir envisager de retrouver toutes et tous, petits et grands.
Hasta luego !
PS : les photos correspondant à cet article figurent dans l'album AS11 - Buenos Aires