Laurence et ses élèves de CM1 nous font l’amitié de suivre le voyage d’Alioth depuis leur salle de classe de Quettehou (Manche). Ils nous ont posé par courrier électronique cinq questions auxquelles nous avons le plaisir de répondre dans les lignes qui suivent.
Question 1 – Comment se passe une journée à bord ?
Pour répondre à ce point, nous distinguerons trois cas de figure : les périodes de navigation hauturière, celles de navigation côtière et enfin les périodes où nous séjournons dans un port ou une marina.
1 – Si nous sommes en période de navigation hauturière (traversée de l’Atlantique, descente le long de l’Amérique du Sud…), c'est-à-dire loin des côtes et sur une grande distance, notre vie s’organise sur un rythme un peu particulier puisqu’il faut 24h/24 s’occuper activement de la vie du bateau. Nous nous succédons ainsi par « quarts » de trois heures : celle ou celui qui est de quart a la responsabilité de la navigation, du réglage des voiles et de la surveillance du plan d’eau, le tout avec l’appui éventuel du reste de l’équipage (manœuvres, changements de voile…) et sous la responsabilité du chef de bord qui alterne chaque semaine.
Tous les matins nous demandons un fichier météo par communication satellite pour savoir quelles sont les évolutions du vent et préparer notre navigation en conséquence. Il faut bien sûr s’occuper des changements de voile en fonction de la direction et de la force du vent, effectuer des petits travaux d’entretien du bateau, s’occuper des repas et même faire notre pain lorsque nous sommes partis depuis longtemps. Tenir le « livre de bord » est une obligation pour tous les bateaux, quelle que soit leur taille et nous y consignons le suivi de la navigation.
Quand les conditions sont bonnes, nous avons le temps de lire, d’écouter de la musique, de dessiner, de jouer aux cartes selon les goûts des uns et des autres. Nous nous reposons aussi un peu dans la journée car les quarts de nuit perturbent notre sommeil. Pour nous laver nous avons la chance de disposer de douches : nous pouvons produire de l’eau douce et la chauffer dans un cumulus mais il faut être vigilant à la consommation électrique (cf. votre question 3). En bateau à voile, on se doit d’être « écolo » !
2 – En période de navigation côtière (remontée des canaux de Patagonie par exemple), nous naviguons essentiellement dans la journée. Il n’est alors plus besoin d’organiser des quarts, mais de répartir entre nous les différentes tâches : poste de barre, manœuvres et navigation. Près des côtes, la navigation nécessite en effet une attention particulière car les « cailloux » -c’est ainsi que les plaisanciers nomment les récifs-, les courants et les variations de hauteurs d’eau présentent de nombreux risques. Le soir, une fois l’ancre mouillée, tout le monde peut dormir tranquille, ou presque, car certains incidents peuvent se produire quand le vent se lève (ancre qui dérape, amarrage qu’il faut renforcer si nous sommes à quai…). Lorsque nous sommes au mouillage, nous disposons d’un petit bateau pneumatique dit « annexe » qui peut fonctionner à la rame ou au moteur et qui nous permet de rejoindre le rivage pour aller nous promener à terre. Lorsque nous sommes dans des régions chaudes, nous avons le plaisir de nous baigner ce dont nous avons beaucoup profité au Brésil (avec nos petits-enfants notamment)… mais pas en Patagonie.
Alioth et son annexe (ïle d'Herschel près du Cap Horn)
3 – Lorsque nous sommes amarrés à quai ou dans une marina pour plusieurs jours -c’était le cas à Ushuaia notamment-, la vie est presque celle que nous pourrions mener à terre, le bateau perdant alors sa fonction de moyen de transport pour garder simplement son rôle de « maison ». Il faut en profiter pour porter le linge à la laverie -car nous n’avons pas de machine à laver à bord-, faire des courses, consulter sa messagerie électronique, ou bien encore aller chez le coiffeur, procéder à des réparations ou faire le plein de gas-oil si nécessaire. Ces moments sont également agréables car nous pouvons communiquer avec d’autres équipages qui sont de nationalité différentes : partout il est important de savoir parler anglais, et l’espagnol est bien sûr essentiel en Argentine et au Chili (au Brésil on parle portugais). Echanger avec les autres bateaux nous permet d’apprendre beaucoup des expériences des autres et, comme à terre de se faire des amis, même si nous savons qu’un jour où l’autre nous devrons les quitter, sans doute pour toujours. Aller à terre, c’est aussi découvrir la culture du pays, son histoire, ses traditions, les habitudes de ses habitants, ce qui est passionnant.
2 – Comment supportez-vous de rester si longtemps loin de chez vous ?
Nous avons fait le choix d’avoir « des racines et des ailes ». Nos « racines » sont celles que nous avons à Paris ou en Normandie où, six mois par an, nous avons le bonheur de retrouver nos familles, nos amis et nos maisons. Le côté « ailes », nous le vivons sur l’autre moitié de l’année où nous partons à la découverte d’autres univers : autres pays, autres cultures, autres rencontres. Nous avons ainsi l’immense chance de vivre deux vies en une en assouvissant notre amour du voyage et de la navigation à la voile tout en conservant des liens forts avec ceux que nous aimons. Ce n’est ni mieux ni moins bien que ce que vivent d’autres personnes : c’est simplement ce que nous avons envie de vivre.
Partir c’est aussi sortir de la routine et donner du relief à ce que l’on vit : c’est sans doute une expérience que vous connaissez pour avoir passé un week-end ou des vacances chez des amis ou des cousins ; vous quittez votre maison et votre famille pour vivre autre chose chez d’autres gens qui ont d’autres habitudes. Vous rentrez chez vous avec le double plaisir d’avoir vécu un moment différent et de retrouver votre famille. Il en est ainsi pour nous et, paradoxalement, nous vivons sans doute avec plus d’intensité encore qu’auparavant nos relations affectives et amicales. Il faut ajouter qu’Internet est un précieux allié qui nous permet de maintenir les contacts lorsque nous sommes partis, notamment via le blog. Par ailleurs des habitants de Quettehou veillent avec beaucoup d’attention sur notre maison pendant notre absence et s’occupent de notre courrier.
3 – Comment obtenez-vous de l’électricité à bord ?
C’est une question effectivement essentielle car un voilier de voyage est une petite entité qui doit pouvoir vivre en toute indépendance, en eau et électricité notamment.
L’électricité est nécessaire au fonctionnement de nombreux équipements :
- Moteur (les batteries doivent être bien chargées pour permettre son démarrage)
- Outils de navigation (ordinateurs permettant de visualiser les cartes électroniques, GPS, baromètre…)
- Moteur de quille (car la quille d’Alioth est relevable)
- Pilote automatique (un outil très confortable et efficace qui se substitue au barreur)
- Dessalinisateur (qui produit de l’eau douce à partir de l’eau de mer)
- Guindeau (qui permet de remonter l’ancre sans effort)
- Propulseur d’étrave (qui aide au pilotage du bateau dans les manœuvres de port)
- Cuisinière (allumage électrique et fonctionnement au gas-oil), cumulus, frigidaire et chauffage
- Pompes diverses (ballastes, calles, robinets…)
- Eclairage interne et externe (feux de navigation et feu de pont)
Il faut donc tout à la fois bénéficier d’un dispositif de production suffisant et consommer l’électricité avec modération. Sur Alioth, nos « centrales électriques » sont les suivantes :
- Un moteur auquel est associée une génératrice électrique
- Une éolienne
Eolienne du bateau (elle tourne très vite par grand vent et produit beaucoup d'électricité)
- Un hydrogénérateur qui fonctionne sur le même principe que l’éolienne mais, qui, au lieu d’être animée par le vent, tourne dans l’eau en fonction de la vitesse du bateau : nous l’utilisons essentiellement en navigation hauturière
L'hydrogénérateur
- Un petit panneau solaire surtout utile aux longues périodes d’« hivernage » afin de maintenir un niveau de production d’électricité minimal
- Un groupe électrogène qui permet de produire de l’électricité lorsque les autres systèmes sont défaillants : nous l’avons appelé Manfred en souvenir d’un ami rencontré au Brésil qui nous avait conseillé l’achat très judicieux de cet appareil qui fonctionne à l’essence.
A titre d’exemples :
- une douche d’eau chaude suppose que nous ayons chauffé l’eau dans le cumulus mais aussi que nous ayons fabriqué de l’eau douce à partir de l’eau de mer : les deux opérations sont consommatrices d’électricité.
- dans les canaux de Patagonie nous avons barré en permanence pour éviter l’usage du pilote automatique et économiser de l’énergie car nous ne pouvions installer l’hydrogénérateur en raison de la présence de l’annexe sur la jupe arrière du bateau.
En conclusion, il est nécessaire de surveiller très régulièrement le niveau des batteries du bateau, c'est à dire le niveau d'électricité stocké à bord. Lorsque nous sommes dans une marina (ce qui fut très rare au cours de cette saison) nous pouvons disposer d’électricité et d’eau à quai : dans la marina de Saint-Vaast, vous pouvez remarquer les plots de distribution d’eau et d’électricité qui sont régulièrement installés sur les pontons.
4 – A quoi sert le moteur si vous avez une voile ?
Nous sommes pleins d’admiration pour les grands voiliers qui, des 15ème aux 19ème siècles, ont fait des navigations si difficiles avec des voilures si compliquées à la découverte de toutes les régions du monde : ils ne disposaient ni de cartes (et encore moins de GPS), ni de prévisions météorologiques, ni de moteur…
A l’heure actuelle, les voiliers de grande croisière naviguent dans des conditions très confortables et le moteur est un outil essentiel à leur bon fonctionnement. Il permet en effet :
- de manœuvrer dans les ports et les mouillages : il n’est pas impossible mais un peu difficile de rentrer à la voile dans la marina de Saint-Vaast ou de Cherbourg et c’est en principe interdit.
- d’avancer lorsqu’on est en « panne » de vent surtout sur les petits parcours car en navigation hauturière il est préférable de patienter en attendant le retour du vent sous peine d'épuiser rapidement les réserves de gas-oil.
- de garder le bateau manœuvrant : vous connaissez sans doute les courants très forts qui parcourent le raz Blanchard ou le ras de Barfleur. Si le vent tombe et que le bateau n’a plus de moteur, les courants risquent de faire dériver le bateau sur les cailloux. C’était autrefois une grande cause de naufrage.
- de produire de l’électricité, comme nous l’avons vu précédemment, ce qui est très utile au bord.
Autrement dit le moteur participe très activement au confort et à la sécurité d’un voilier.
5 – Est-ce que vous rencontrez des animaux marins rares ou extraordinaires ?
Nous rencontrons des animaux inhabituels aux régions de la Manche ou de l’Atlantique : en ce sens ils sont pour nous rares et extraordinaires mais en revanche ils vivent dans leur milieu naturel et sont tout à fait communs pour les populations qui habitent dans le grand sud de l’Amérique du Sud.
Les dauphins que l’on rencontre sur toutes les mers du globe ont la particularité ici d’avoir le ventre blanc. Nous aimons beaucoup les phoques qui, comme les dauphins, aiment jouer aux alentours du bateau: ils ont le même corps fuselé et se déplacent de manière assez similaire. Les baleines sont assez fréquentes mais un peu frustrantes car elles se laissent assez peu apercevoir : un souffle, un arrondi du dos et, dans le meilleur des cas, un petit bout de queue et la bête a disparu. Les pingouins sont particuliers aussi à ces régions : ce sont surtout les petits pingouins dits de Magellan que nous avons rencontrés. Noir et blanc, ils vivent en colonies sur les îles ou nagent par petits groupes. Les lions de mer se prélassent sur les rochers : Ils sont gros, pas très beaux et assez apathiques. Ils sentent très mauvais et leur odeur nous parvient avant de les avoir aperçus, lorsque nous passons sous leur vent. Il est difficile de prendre ces animaux en photos : nous ne pouvons vous les montrer tous.
Dauphins au ventre blanc (photo prise dans un musée !)
Dauphin
Pingouin de Magellan
Colonie de pingouins de Magellan
Et Luc est très fier quand il réussit à pêcher de délicieux crabes appelés "centollas" très rares à cette saison.
A nous maintenant de vous poser quelques questions :
- quelle est la composition de votre classe ?
- que représente la mer pour vous ?
- êtes-vous nombreux à avoir envie de voyager ? Pourquoi avez-vous envie ou non de voyager ?
- faites-vous de la voile dans le cadre de votre école ? Si oui qu’avez-vous à nous raconter à ce sujet ?
Nous repartons le 23 février pour trois semaines de navigation où nous n’aurons pas de possibilité d’accès à Internet : nous remontrons la côte du Pacifique de Puerto Natales à Puerto Montt au Chili en passant essentiellement au milieu des îles. Nous serons de retour début mai en Normandie où nous serons heureux de vous rencontrer.
Bien amicalement, bonnes vacances de février et « hasta luego » (à bientôt en espagnol)
Le team Alioth,