Prélude d’un retour programmé, nos trois escales de la saison sept se placent sous le signe de l’exclusivité européenne : Sainte-Hélène (Grande-Bretagne), Guadeloupe (France) et Açores (Portugal) où notre navigation se prélasse entre Flores, Faial et… Terceira, la troisième bien sûr. Le temps, lui, s’accélère. Cécile nous a quittés de Horta le 23 et Jean-Michel a atterri sur la même piste aéroportuaire le 25 juin.
Loin du tourisme de masse, les îles se dressent, braves et sauvages, au milieu de l’Atlantique. De création récente à l’échelle de la construction du monde -4 millions d’années-, leur apparente tranquillité voile pudiquement un permanent qui-vive. Car ici le volcanisme s’active, témoin l’émergence en 1957-58, à la pointe nord-ouest de Faial, du volcan dos Capelinhos dont l’éruption a fait gagner plus de 2km² à la surface de l’île. Le phare du lieu, depuis lors déclassé, conserve fière allure au cœur d’une géologie lunaire cernée par l’océan. Partout ailleurs ce sont les fleurs, les troupeaux de bovins et les hortensias ; les petits champs en bocage pour se protéger du vent, les cratères et les chutes d’eau qui sculptent le paysage. La propreté des sites et l’hospitalité austère des portugais s’inscrivent dans la droite ligne de la rude harmonie des lieux.
Les Açores sont bien sûr le pays des baleines et des cachalots que l’on ne chasse désormais plus qu’à la jumelle ou à la caméra lors d’une de ces expéditions d’observation dont Cécile est revenue le souffle coupé.
Petit port perdu au milieu de l’Atlantique -doté de 300 places dans la marina malgré tout- Horta voit se croiser, dans un mouvement incessant, les routes des navigateurs du monde entier. Les Açores sont un incroyable terrain de retrouvailles et c’est avec une immense surprise et une grande joie que nous avons vu entrer dans le petit port de Lajes de Flores nos amis de Resolute avec lesquels nous avons viré le Cap Horn et partagé tant de bons moments en Amérique du Sud ! Malgré tout, certains ne font pas halte ici pour les raisons les plus candides, tel ce beau maxi qui vient de se faire arraisonner le long du quai de Horta pour trafic de drogue à l’issue d’une saisie d’une tonne de cocaïne à son bord.
La coutume veut ici que chaque bateau tague sa trace, sur les sols ou les murs des quais qui bordent le port. La tradition semble peu à peu se teinter de superstition, d’une de ces croyances qui rôde sans en avoir l’air en s’ancrant solidement dans les âmes des voileux : dessiner sur le quai, protégerait les marins qui reprennent le large. Grâce à l’énergie et au talent de Cécile, Alioth n’a pas dérogé au rituel à Flores, puis à Horta où la pluie ayant détourné un projet bien préparé par l’artiste du bord, j’ai bien maladroitement tenté de prendre la relève.
Durant le temps de notre escale, nous suivons la Solitaire du Figaro et les résultats du jeune havrais Charlie Dalin, fils d’une bonne amie de Cécile, qui au classement final se place second à 25mn de Yann Eliès. Une belle performance : bravo Charlie !
A Horta, le Café Sport de Peter est une institution. Le rendez-vous incontournable des navigateurs. On y prend tranquillement son café le matin en égrenant ses mails, on y dîne dans une ambiance haute en paroles dans un décor de pavillons de clubs et de dents de cachalots gravées selon l’art local du scrimshaw. On y rencontre des gens qui connaissent des gens que l’on connait et avec lesquels on a soi-même navigué… Et si le mythe de Peter n’a pas évité la surenchère commerciale et les produits dérivés, on se laisse prendre agréablement au jeu en remarquant que, quoiqu’il arrive, Peter est là, manches retroussées et « mouille sa chemise » auprès de la clientèle…
Cette escale peut-être plus maritime que toute autre, nous la dédions à notre ami Jacques dont nous avons eu la profonde tristesse d’apprendre qu’il nous avait quittés le 23 juin. Ce fut un grand marin qui avait « l’élégance du cœur » comme l’écrit si parfaitement l’Amiral Laganne, Président du Yacht Club de France et past-président de la SNSM ; un passionné de la mer, incroyablement dévoué, entre autre, à la cause de la sécurité et du sauvetage en mer tant il était désireux de « rendre au monde maritime, toutes les richesses qu’il nous a apportées ». Nous sommes de tout cœur auprès de Laure ; pensons affectueusement à Arnaud, Marie et Louis ; à Philippe aussi.
Dernière halte à Terceira, joyau final de notre circumnavigation, d’où nous partirons ce dimanche 28 juin, pour revoir notre Normandie. Arrivée prévue le 6 juillet à Cherbourg, selon météo bien sûr.
Cécile, dont nous regrettons qu’elle n’ait pu prolonger son voyage jusqu’à notre ultime destination, a bien voulu reprendre la plume électronique pour donner la suite de ses impressions.
Merci à elles avec nos très amicales pensées de la belle Terceira !
Terre,
C’est un rocher noir, volcanique comme tout l’archipel des Açores. Il apparaît à peine brumeux en cet après midi où nous touchons sa terre les jambes légèrement sonnées.
La minuscule île de Florès abrite un port tout aussi minuscule, où s’amarrent les bateaux en transat venus des caraïbes. Sur ces bateaux voyagent et vivent toutes sortes de personnes, de familles de couples. D’étranges rêves glissent sur les mers, celui de la navigation en famille semble assez usant pour … les mères. Homme à la barre, homme à la voile, femme au foyer gîtant, un quotidien avec trois enfants dans un espace ou sol et mur ont parfois à jouer l’esquive et se confondre peut même devenir inquiétant. Le luxe c’est le quart de nuit, en solo et en silence.
La terre est belle sur cette île, côte noire, pentes vert-tendre et vert-olive, hortensias sauvages en pagaille, vaches et veaux bruns au beau destin animal, les yeux au dessus de l’océan toujours, partout, village silencieux en pierre et en fleurs encore, chants de merles au dessus de nos têtes nous marchons, nous marchons, et c’est parfait.
Dans le port de Florès y a des marins oui, même des femmes marins, baroudeuses aux cheveux longs roussis de soleil et de sel, baroudeuses musiciennes aussi, yeux frangés de rides, de nuits à veiller sur le noir et de jours à les plisser sous la lumière crue.
Savais tu que les baleines ne dormaient que d’un cerveau, la tête en bas ?
Dans le port de Florès nous croisons donc des navigateurs de tous bords, tous azimuts, toute origine sociale et cette mixité pétille, la mer nous fait croire dans un monde réconciliable.
Christiane, après un bain partagé dans l’allégresse, me dit que cet océan a bon goût.
Salé à point.
Je la soupçonne de plus en plus d’avoir en une autre vie habité les eaux profondes…
Savais tu que les cachalots de crient pas, ne sifflent pas, mais qu’ils cliquent et décliquent , se caressent aussi?
Dans le port de Florès il y a aussi un minuscule bar, une vague taverne où crie parfois une moche télé, où le café réveille quelques marins venus prendre des nouvelles du monde internet et où quelques îliens semblent avoir tout leur temps.
Nous repartons un après midi trois jours plus tard pour rejoindre Faial, à quelques 120 milles de là.
Savais tu que les baleines rêvaient ?
Faial n’est pas minuscule, tout aussi noire et découpée, face à elle se dresse un pic noir enveloppé de brume, couvercle ou anneau selon les heures.
A la pointe ouest de l’ile se dressait un phare. Un pour guider les marins. Mais un jour, la terre a tremblé, et pendant huit mois le feu et la cendre ont rendu la zone infréquentable et aveugle.
Huit mois plus tard, 3 km² d’une nouvelle terre était apparue, perchant ses coulées noires et figées bien au dessus de la lumière du phare. Lorsque nous sommes allés sur cette montagne, nous étions rares les marcheurs. Langue de caillasse et de terre noire et grise, étalé comme un dos d’une baleine géante (dixit Christiane, la femme qui peut être parle à l’oreille des baleines), plongeant ses vertiges fracassés dans une eau bleue d’un bleu sauvage et profond. Quelques plantes commencent à pousser sur cette terre toute neuve. Des griffes de sorcières en l’occurrence.
Tout en haut de la partie la plus haute la mer à perte de vue, le disque terrestre comme je l’aime, quand il coupe le souffle et nous rappelle notre dimension réel, et en bas
Nagent des baleines, invisibles, mais elles sont là.
Le lendemain, j’ai craqué, suis partie chez Hortabalaneos, petite structure dans la marina tenue par deux Açoriens passionnés de cétacés, fils et petit fils de pêcheurs de cachalots, qui emmènent par petit groupes les touristes en zones où vivent et se nourrissent baleines et dauphins.
Je ne savais pas à quel point elles étaient calmes, lentes, puissantes, gracieuses, immenses, émouvantes, sans autre bruit qu’un souffle.
Contrairement à nous, autres mammifères, elles ne respirent pas par réflexe, mais en conscience, en décision.
Les baleines méditent elles ?
Sur le zodiac au moteur coupé, nous garderons aussi longtemps l’immobilité au milieu d’une tribu de dauphins mêlant adultes et petits, sautant en totale synchronicité hors de l’eau, puis se séparant et se retrouvant, comme si les petits avaient comme parents toute la bande …
Quelques jours plus tard
Je dois quitter l’équipage d’Alioth sans pouvoir dessiner d’ex-voto sur le quai de la marina, sans pouvoir terminer avec eux leur tour du monde, avec une gratitude et un respect aussi grand qu’une baleine pour l’amie Christiane et les deux frères capitaines en alternance, taiseux mais pas seulement, je repars à terre gonflée d’énergie, de beauté de mots nouveaux, de vents fous…
Merci Team Alioth