Le 31 mars au soir, au Royal Cape Yacht Club, nous accueillons Tim[1] au milieu du déballage des courses d’approvisionnement à peine embarquées. Il est âgé, Tim, et passablement cassé par un demi-siècle de rugby de compétition, mais il réussit à se hisser courageusement à bord et nous discutons avec plaisir autour d’une de nos dernières bouteilles de vin français. Doté du précieux flacon de calvados -de chez Gosselin- amené par Dominique, il s’émeut encore qu’une rencontre de hasard dans les montagnes perdues de Groenfontein lui ait valu une livraison si improbable.
[1] Cf article S7 4
Le 1er avril au matin, les derniers petits travaux s’achèvent à bord grâce à l’efficacité de l’équipe d’Action Yachting. Saluts chaleureux aux acteurs de ce club, si accueillants et performants. Au-revoir et à bientôt peut-être à Alibi, Yovo et Excalibur qui, en attente d’un moteur pour les uns, d’une météo plus avenante pour l’autre, vont prendre respectivement leur route pour la Namibie et pour Sainte-Hélène. Au passage, un merci tout spécial à Armelle (Alibi) qui a bien voulu se défaire de son stock de levure pour pallier mon oubli de la veille au supermarché. A 13h nous effectuons le plein de fuel et à 13h30 nous quittons les bassins du Cap en esquissant au passage une petite manœuvre d’homme à la mer à l’adresse d’une défense fugitive.
Très vite la montagne de la Table s’estompe dans la brume, l’île de Robben Island défile à tribord et, en deux à trois heures de temps, nous voici replongés dans la grande solitude marine. 1700 milles, soit une dizaine de jours de mer, s’offrent à nous d’ici le mouillage de l’île de Sainte-Hélène. Un vent de sud-est 25 nœuds nous accompagnera durant une semaine placée sous l’influence du courant froid de Benguela et sous un ciel à la couverture plutôt ombrageuse.
La vie à bord reprend ses droits dans toute sa simplicité et sa fluidité. Le vent tonique mais stable et le rythme des quarts à trois nous autorisent de grands moments de liberté. La lecture est encore très sud-africaine et les petits évènements se fêtent : les 40000 milles de notre Alioth, le franchissement du méridien de Greenwich avec ses petits airs de retour à la maison, les fêtes pascales gratifiées d’un gâteau-au-chocolat-de-Dominique…
Tout va bien à bord mais le bateau sans problème est un bateau en situation précaire… et après quelques jours de tranquillité nous sommes amenés, bien malgré nous, à faire appel de manière répétée à notre service maintenance.
Le dimanche 5 avril, le jour de Pâques qui plus est, la pompe des toilettes de la cabine avant joue des siennes (comme quoi, en mer, les préoccupations restent parfois très terre à terre). En quelques minutes, le service plomberie est là, équipé de la pièce de rechange ad hoc et prêt à consacrer quatre heures de beau soleil à opérer les fastidieuses contorsions exigées par la réparation du mécanisme.
Le mardi l’attache de la chaise de la table à cartes, mal réparée au Cap, casse à nouveau donnant à Luc l’occasion de rejouer le scénario du vol plané de Guillaume (novembre dernier), dans une version heureusement beaucoup moins violente. Là aussi quatre heures de réflexion et d’exécution seront nécessaires pour réparer la précieuse assise, la version table à cartes en mode prie-Dieu restant une option un peu trop aléatoire.
Le mercredi, le vent a molli, et nous trouvons enfin l’opportunité d’envoyer notre nouveau spi. A peine avons-nous félicité le nouveau venu de la qualité de ses atours que la drisse casse en tête de mât nous obligeant à brasser au plus vite, et heureusement sans dégât, les 160m² de toile tombés à la mer. Retour au bon vieux temps, on croise solent et trinquette qui joueront un duo très appréciable tout au long de la nuit.
Le jeudi matin, une alarme de la centrale de navigation se déclenche inopinément à 5h30. Le bip-bip est lancinant mais dès 6h, le service électronique est sur place et en une demi-heure de temps fait le nécessaire pour détecter la panne et débrancher la sonnerie. Mais la journée se veut décidément grincheuse : au lever du jour la grand-voile se révèle décousue sur une longueur de 2m50. L’équipe voilerie est immédiatement sur pied pour procéder à l’affalage et consacrer deux bonnes paires d’heures à recoudre le lais, au rythme de deux points par centimètre…
Le vent est tombé ; le bateau, « en vrac », bouchonne piteusement sur l’eau au milieu de nulle part mais on reconnaîtra que ce grand calme nous aura pour le moins offert des conditions d’intervention confortables. Encore faut-il, en fin d’après-midi, réinstaller la grand voile, plier le spi rentré en bouchon la veille pour le réenfiler dans sa chaussette, puis réparer la drisse qui exige pour le technicien de service une station un peu prolongée en haut du mât. A 19h, le tout est rangé et l’apéritif est, plus que jamais, le bienvenu. Sans doute faudra-t-il réfléchir d’ici peu aux moyens de faire labelliser notre service entretien par une certification jugée bien méritée...
Saluons les fous de Bassan qui ont longuement et noblement accompagné notre départ, la malheureuse tortue empêtrée dans un filet de pêche et végétant sans grand espoir de survie à la surface de l’eau, les dauphins qui nous ont offert en soirée exceptionnelle, le jour de Pâques, un incroyable spectacle de chasse de poissons. Nous n’oublierons pas de signaler la sortie de l’eau par Luc du-plus-beau-thon-de-sa-carrière. L’animal nous fera… sept repas… sans en perdre une miette. Quant aux poissons volants, ils nous confirment sur les derniers jours, au cas où la température, le GPS et la couleur du ciel n’y auraient pas suffi, notre retour en zone tropicale.
Le samedi 11 avril au matin au fur et à mesure que se profilent les contours du rocher de Saint-Hélène, se dégage le sentiment toujours un peu grisant des arrivées en terra incognita. L’île, tout à la fois massive et découpée, se laisse longer par sa côte est et c’est juste à la tombée de la nuit que deux jeunes navigatrices viennent fort aimablement nous aider à attraper notre coffre.
Un petit mot pour Lolo qui aurait dû être à nos côtés. Sa bonne humeur marine nous manque et chaque jour nous prive de la note personnalisée qu’il aurait apporté à la vie du bord. Nous pensons tout particulièrement à lui et vous adressons nos amitiés à toutes et à tous.